Friday, July 11, 2014

On a failli être amies / [We Were Almost Friends]

Karin Viard (Marithé the blonde), Emmanuelle Devos (Carole the brunette), and Roschdy Zem (Sam). Click to enlarge!
FR 2014. 
Directed by Anne Le Ny

Production company : Move Movie
Film export/Foreign Sales : SND Groupe M6
French distribution : Mars Distribution

Executive Producer : Bruno Lévy
Assistant Director : Anne Felotti
Screenwriter : Anne Le Ny
Director of Photography : Jérôme Alméras
Sound Recordists : Frédéric de Ravignan, Benoît Hillebrant, Cyril Holtz
Production Manager : Sylvie Peyre
Press Attaché (film) : André-Paul Ricci
Editor : Guerric Catala
Continuity supervisor : Sylvie Koechlin
Production Designer : Yves Brover
Music Composer : Éric Neveux
Casting : Tatiana Vialle
Costume Designer : Isabelle Pannetier
Location Manager : Marie-Hélène Labret

Feature film
Genres : Fiction
Sub-genre : Drama
Production language : French
EOF : Oui
Nationality : 100% French (France)
Production year : 2013
French release : 25/06/2014
Runtime : 1 h 31 min
Visa number : 134.757
Screening format : DCP
Color type : Color
Aspect ratio : CinemaScope
Sound format : Dolby SRD

Karin Viard : Marithé
Emmanuelle Devos : Carole Drissi
Roschdy Zem : Sam Drissi
Anne Le Ny : Nathalie
Philippe Rebbot : Pierre
Annie Mercier : Jackie
Marion Lécrivain : Dorothée
Yan Tassin : Théo
Marion Malenfant : Cynthia
Xavier de Guillebon : Vincent
Philippe Fretun : Michel
Xavier Béja : Pascal
Pierre Diot : le jogger
Diane Stolojan : une ouvrière
Adeline Moreau : la serveuse
Jonathan Cohen : le chef de salle

Tournage : du 28 mai au 20 juillet 2013 à Orléans, dans le Vexin, entre les communes d'Épiais-Rhus et de Livilliers, dans les Yvelines, aux Essarts-le-Roi.

2K DCP viewed at Pathé Wepler (Paris 18), 11 July 2014

Pressbook synopsis: "Marithé works in a training center for adults. Her mission: to help other people to change direction in their work and to find their vocation. Carole, who lives and works in the shadow cast by her husband, Sam, an energetic and talented Michelin-starred chef, arrives in the center one day. It's not so much a change in job that Carole seems to need, as a change in husband. Marithé does everything she can to help Carole set out down a new path. But what are the real motives behind this devotion? After all, Marithé doesn't seem to be impervious to Sam's charms, or to his cooking." (pressbook synopsis)

AA: The story of two grown-up women at the crossroads of their lives. Marithé is the single mother of a son who is now grown up and moving to America to study at the university. Carole is the patronne at a top restaurant run by the charismatic chef Sam. Carole finds she has untapped potential for something quite different, independently from her husband, and Marithé instinctively realizes that.

Secretly from Sam Carole visits the adult reorientation center where Marithé works, and Marithé starts to provide alibis for Carole not only in her reorientation but also in her private affairs. Marithé goes too far helping Carole, which finally results in Marithé having to give up her job. The women now take distance from each other, and they both find themselves in parallel situations of reorientation in both their professions and their private lives.

The strength of the film is in the performances of the two female leads, Karin Viard and Emmanuelle Devos. They create three-dimensional, nuanced, inspired characters of Marithé and Carole. There is a feeling of authenticity, of real life in their relationship. This is a story of an encounter that transforms the lives of both parties. The plot is based on the conviction that we can change our lives, that we can have completely different stages in our active, grown-up lives. The approach is humoristic and life-affirming.

Fundamentally, it is about our finding our true capacities, especially so for women, because Marithé has observed that in employment interviews women systematically draw attention to their flaws, men to their qualities.

On a failli être amies is also a restaurant film, and I don't think it's going too far to say it takes the original meaning of "se restaurer" - "to restore oneself" - literally. In The International New York Times (24 July 2014) Mark Bittman writes how French food is going down, Frenchmen relying increasingly, as everyone else, on fast and pre-prepared food. You really need to have good advice now to discover truly good restaurants even in France.

The restaurants of Sam Drissi (Roschdy Zem) would be good enough for Mark Bittman. Sam has his own garden, grows his own fines herbes, bakes his own bread, and makes his own peanut butter. Marithé lands into the spell of Sam via his cooking, and is also charmed by him as a man, but Sam does not mix erotic pleasure with business, and does not stray anyway as long as he's married.

On two occasions, before they have any kind of an affair, Sam gets to touch Marithé to clean her: when some plaster has fallen on her on the building site of the new restaurant, and when a new and inexperienced waiter has spilt some food on her. On the first occasion Sam instantly forms a scent concept of her: no parfum, instead a sense of fresh bread, pears, and champignons. On the second occasion the wet-shirt revelation of Marithé's bosom makes Sam turn bashful.

In a late sequence with a private wedding party (not of the protagonists') being celebrated in Sam's restaurant the running joke is that after each course there is an opportunity to state in a chorus: "like the young bride would say". ("Tous les amuse-bouches sont finis! On peut rentrer dans le sujet, chef." - "Comme dirait la jeune mariée!"). At night, after the party, Sam picks for Marithé mint leaves and lemon balm. Sam: "You chew well, but you do not swallow." Marithé: "The bridegroom would never say such a thing... "

There is an interesting coincidence with On a failli être amies and the Indian hit film of the year, The Lunchbox / Dabba. Good cooking brings people together and the rapture and ecstasy of taste can ignite a love affair.

Beyond the jump break: Anne Le Ny's interview from the pressbook of the film.

Pressbook: Entretien avec Anne Le Ny

Comment a germé l’idée d’ON A FAILLI ÊTRE AMIES ? L’idée m’est venue en parlant avec mon assistante monteuse, Cécile Pradère, à qui je demandais, un jour, comment elle en était arrivée à faire son métier - ce que j’adore faire avec les gens. Cécile m’a raconté qu’elle avait travaillé comme formatrice dans un institut de formation pour adultes et qu’en fait, à force de faire ce métier et de voir que les gens allaient mieux quand ils changeaient de métier, et bien... elle avait fini par se l’appliquer à elle-même ! Et qu’elle avait donc changé pour devenir monteuse. Le lendemain, j’ai ouvert la porte de sa salle de montage et je lui ai dit : «Toi, tu m’as empêchée de dormir !» Et voilà !

Qu’est-ce qui vous a précisément empêchée de dormir cette nuit-là ? Je pense qu’il y avait quelque chose qui résonnait très fort en moi du fait que moi aussi j’ai changé de métier, puisque je suis passée, il y a quelques années, d’actrice à réalisatrice. Et puis, le thème du travail m’a toujours intéressée. Non pas par ce qu’il raconte du monde impitoyable de l’entreprise, que je ne connais pas et qui a déjà beaucoup été exploité au cinéma, mais par ce qu’il permet de dire sur le rapport intime que l’on entretient avec lui, ce qui me paraît plus singulier. Cela m’a intéressée de parler de l’image que l’on a de soi-même à travers son métier, de la façon dont on s’y projette, de la part de soi qu’on décide d’y mettre en identifiant son travail à son image sociale. J’avais envie d’explorer un peu tous ces thèmes-là.

Ce que vous avez fait en fractionnant cette thématique du rapport intime au travail sur les trois personnages principaux... J’ai essayé de balayer le spectre : à un bout, nous avons le personnage de Sam (Roschdy Zem), le chef cuisinier, qui a toujours su ce qu’il voulait faire. Il a une vocation, un talent, il l’exerce, il est reconnu dans ce qu’il fait, et donc, il est un exemple de carrière avec de l’ambition et de la réussite sociale et matérielle. Ensuite, au milieu du spectre, il y a le personnage de Marithé (Karin Viard), une formatrice avec de l’expérience, qui, sans s’être levée le matin en se disant : « Je veux être formatrice dans un centre de formation professionnelle », a tout de même le sentiment qu’elle fait quelque chose d’utile, qui sert aux gens, d’éthique, et dans lequel elle peut se reconnaître. Pour les amateurs de Rolex, ce n’est peut-être pas ce qu’on appelle une réussite sociale éblouissante, mais cela lui permet de faire quelque chose qui lui apporte des satisfactions et où elle s’identifie beaucoup à ce qu’elle fait aussi, même si il n’y a pas ce côté vocation, quasi romantique, qui est lié au personnage de Sam. Enfin, à l’autre bout, il y a le personnage de Carole (Emmanuelle Devos), qui est quelqu’un qui n’a pas vraiment fait d’études, qui ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait faire, qui n’a pas vraiment de vocation. Carole s’est retrouvée dans le sillage de Sam, son mari – ce qui n’est pas rare dans les boulots qui sont liés au commerce où l’on travaille souvent en couple – qui a toujours été « dans l’ombre de...». On peut imaginer qu’elle a un peu tout fait : serveuse, comptable, la caisse... Et, du coup, elle a l’impression de ne rien savoir faire, de ne plus savoir qui elle est là dedans. D’être quelqu’un à qui sa profession renvoie une image peu flatteuse d’elle-même.

Est-ce, cependant, une histoire à trois ou plutôt l’histoire de deux femmes ? C’est plus une histoire de femmes quand même. Même s’il y a le personnage de Roschdy et plein de personnages masculins ! Je voulais raconter une relation entre deux femmes. D’abord, parce que les rapports entre celles-ci ne sont pas traités autant que cela au cinéma. Ensuite, parce que je voulais montrer des rapports ambivalents, assez ambigus entre deux femmes, qui ne se veulent pas de mal et qui ne passent pas systématiquement par la rivalité amoureuse. Car, au cinéma, ou bien les relations entre femmes sont traitées sur le mode de la rivalité, amoureuse en général, avec un homme entre les deux. Ou bien le sujet est abordé sur le registre de la grande amitié féminine, souvent «romanticisée», pour contrebalancer les films qui prétendent que les femmes se tirent systématiquement dans les pattes, que l’amitié virile entre deux hommes, ça, ça existe, que c’est beau, loyal et franc, blablabla... mais qu’entre les femmes, ça ne peut pas exister.

Il y a tout de même un homme dans votre film... Oui, j’ai quand même fait un triangle. Comme c’est un des grands classiques – un homme, deux femmes –, j’ai voulu repasser par ce cliché, mais en le pervertissant – car j’aime bien les grands classiques, mais pour les pervertir ! J’ai donc évacué très vite la rivalité. Et clairement, il y en a une qui dit tout de suite à l’autre : je n’en veux plus de celui-là!

Qu’est-ce qui distingue les personnages de Carole et Marithé ? Beaucoup de choses. Déjà, le statut social. J’ai choisi que cela se passe en province, dans une ville pas trop grande (Orléans), où a priori les gens peuvent se connaître. Ce sont deux femmes qui vivent dans des milieux qui ne se mélangent pas. Il y en a une qui est dans la bourgeoisie, dans un truc de nantis. L’autre non. Elles n’ont pas du tout la même vie, elles ne connaissent pas les mêmes endroits. Carole (Emmanuelle Devos) emmène Marithé (Karin Viard) au country club et elle est stupéfaite que l’autre n’y ait jamais mis les pieds. Elles vivent dans des sphères très éloignées, elles ont des parcours très différents. Marithé est quelqu’un de structuré, qui a fait des études, qui travaille dans un établissement lui-même structuré, en ayant assez fortement conscience de son utilité. Son personnage est droit, carré. Aussi parce qu’intellectuellement et dans sa façon de fonctionner en société, elle a plus d’armes dans les mains pour s’en sortir. Carole est plus flottante. Elle a cette espèce de grâce de la bourgeoisie, elle est quelqu’un qui est tout à fait capable de se débrouiller, mais avec des armes beaucoup moins objectivables. Ensuite, beaucoup les oppose sur le plan psychologique. Carole est à un moment de sa vie où elle est en crise. Elle le dit, elle le porte sur son corps, elle a de l’eczéma. Elle a l’air d’être en position de faiblesse, notamment vis-à-vis de son mari. Elle a vécu dans son ombre, et quand elle était amoureuse, cela allait sûrement de soi. Maintenant, elle se sent écrasée. Elle est donc en crise, mais elle est aussi lucide par rapport à tout cela. Elle sait où elle en est. Et qu’il lui faut prendre les choses en main, sinon elle va se noyer. Marithé, elle, a un problème du même ordre - que Carole va d’ailleurs vite identifier -, mais elle n’en a pas encore conscience. Elle a une existence beaucoup plus structurée. Elle a l’air de savoir ce qu’elle fait. Mais, en fait, elle est complètement dans le déni. Elle va se rendre compte que son grand fils est sur le point de partir et qu’elle n’a rien dans sa vie, excepté son travail. Et que même son travail est probablement en train de l’épuiser.

Finalement, ces deux femmes, loin de devenir rivales, s’aident mutuellement... Oui. Marithé est là pour identifier quels sont les problèmes de Carole et pour leur trouver un remède. Et Carole identifie que Marithé a un problème, qui, finalement, n’est pas si éloigné du sien. La plus forte des deux, d’ailleurs, n’est pas forcément celle qu’on croit. Carole a conscience que ses moyens sont limités d’un point de vue professionnel, voire intellectuel. En même temps, c’est quelqu’un qui a une certaine finesse avec les gens et qui sait aussi très bien utiliser sa séduction, sa douceur. Elle a, du coup, une capacité à se faire protéger. Ce que Marithé ne sait pas faire. Marithé, elle, se débrouille toute seule. Elle ne sait pas demander de l’aide et s’appuyer sur les autres. En fait, ce sont deux femmes qui sont juste à un moment de leur vie où elles vont s’utiliser mutuellement dans un moment de crise pour garder la tête hors de l’eau. Car c’est, pour elles, une question de survie. Au fond, elles vont plutôt se faire du bien, mais, à ce moment là, sans le vouloir, en ne pensant qu’à elles-mêmes. Elles vont un peu se manipuler, mais sans machiavélisme, parce que voilà c’est un moment comme ça où il faut avancer. J’ai beaucoup pensé au rapport ambivalent de Stéphane Audran et Marie Trintignant dans BETTY, de Claude Chabrol.

En quoi Karin Viard et Emmanuelle Devos, qui sont réunies pour la première fois à l’écran, incarnaient-elles parfaitement ces deux personnages ? J’avais envie de retravailler avec les deux. C’est d’ailleurs la première fois que j’ai écrit un scénario en pensant aux acteurs qui allaient le jouer. Mais pour Karin, avec qui j’avais tourné LES INVITÉS DE MON PÈRE, il y avait un truc évident. C’était très clair : il fallait qu’elle joue Marithé. Et d’ailleurs, elle n’avait envie que de jouer Marithé ! Parce que Karin a une énergie, un côté carré comme ça... Emmanuelle, elle, avec qui j’avais fait mon premier film, CEUX QUI RESTENT, aurait pu interpréter les deux et le personnage de Carole était plutôt un peu un contre-emploi pour elle. Mais j’adore faire faire des contre-emplois à Emmanuelle ! Elles se connaissaient avant, mais elles n’avaient jamais joué ensemble. Elles étaient ravies par l’idée de travailler ensemble parce qu’elles s’apprécient beaucoup comme comédienne et qu’elles ont de l’admiration l’une pour l’autre. Et aussi parce qu’elles avaient eu peu de partenaires féminines sur des rôles importants à partitions de part et d’autre équivalentes, puisqu’il existe très peu de duos féminins. Il y avait donc, pour elles, aussi, une certaine excitation à défricher ce terrain neuf, qui sort du traditionnel rapport de séduction homme-femme.

Comment s’est déroulé le tournage avec elles ? Karin et Emmanuelle ont des natures et des façons de jouer très différentes. Ce sont toutes les deux de grandes actrices. Elles ont des points forts qui ne sont pas du tout les mêmes. Elles le savent. Et c’était donc, je pense, très plaisant pour elles de laisser l’autre occuper un terrain, puis d’en reprendre un autre, etc. Karin est quelqu’un qui a beaucoup d’énergie et une grande puissance comique. Elle peut partir en vrille, passer de la première à la cinquième, sur des moments de folie, vouch !... comme ça, c’est très impressionnant. Emmanuelle, elle, est très efficace sur des ruptures, des changements de registre. Pas dans la puissance, mais dans la surprise. Elle déstabilise, elle invente aussi constamment. Elles sont donc très fortes toutes les deux et pas au même endroit. Ça joue donc vraiment très bien ensemble, sans qu’il y ait pour autant de compétition pour occuper le même terrain. Je pense qu’elles ont pris beaucoup de plaisir à jouer l’une avec l’autre. Ce sont aussi deux actrices extrêmement travailleuses, qui réfléchissent beaucoup à ce qu’elles vont faire, qui ont un plaisir à reprendre les scènes, à chercher. Les deux sont des machines à jouer. C’est très agréable.

Aurait-on pu imaginer une histoire similaire avec deux hommes? Tout à fait. Enfin, dans la manière dont ils s’utilisent mutuellement. Ensuite, par rapport à la situation professionnelle du personnage de Carole, trouver un type qui vive dans l’ombre de sa femme qui fait une grande carrière et qui lui a un peu tout sacrifié, heu... c’est plus rare comme cas de figure, non ?...

Dans ce film, Roschdy Zem est utilisé dans un registre atypique... Roschdy, normalement, il porte un flingue et il ne sourit jamais. Là, il porte un fouet à pâtisserie et il sourit souvent ! D’abord, ça me plaisait beaucoup de prendre quelqu’un issu de l’immigration pour symboliser cette quintessence française qu’est le « chef » de cuisine. Ensuite, ça me plaisait aussi ce côté image archi virile de Roschdy et de l’utiliser sur un truc plus « solaire », plus dans la sensualité. Sam, son personnage, est certes affirmé, parce qu’on se doute bien que pour être « chef » d’un restaurant comme cela, il faut avoir de la poigne et un vrai charisme. Mais je pouvais lui faire jouer des scènes avec plus de vulnérabilité, plus de douceur. Ça m’intéresse toujours de bénéficier de l’image qu’ont les acteurs à travers leurs rôles précédents, et de les utiliser sur un autre registre. C’est plus riche.

Deux ingrédients colorent particulièrement le film : la province et l’art culinaire... Je ne peux pas dire que ce sont des thèmes qui me touchent particulièrement comme le rapport au travail ou les rapports féminins. C’est juste que j’avais envie. J’avais fait un film avant en Bretagne, très marqué par le folklore local, par des paysages très forts, une nature dramatique. Donc, là, je m’étais dit : «J’ai envie de la Loire, de la campagne française, calme, douce et paisible. J’ai envie d’une architecture qui ne soit pas trop identifiée à une région». Le tuffeau de Touraine, ça paraissait parfait. Un truc qui aille dans la mesure, l’équilibre, la sérénité - apparente en tout cas. J’avais envie de filmer dans une belle campagne verdoyante. De jouer avec des stéréotypes très français. Ça m’arrangeait aussi que ce soit un couple qui travaille ensemble. Ce qui m’a amenée assez vite à l’idée du restaurant. Puis je me suis mise à lire des choses sur la cuisine. De ça, a découlé aussi l’idée que la séduction opérée sur Marithé (Karin Viard) par Sam n’allait pas passer par le sexe, mais par une autre forme de sensualité, plus douce également. Ça me paraissait intéressant d’utiliser la nourriture. D’abord, l’art culinaire, c’est beau visuellement. Et puis, Marithé est quelqu’un qui a mis un peu toute sa féminité et sa sensualité de côté, dont on peut se dire que ça fait dix ans qu’elle a divorcé, qu’elle élève son fils toute seule... Eh bien ! Que son deuxième départ s’opère avec quelque chose d’assez doux - pas de «Bing, je tombe amoureuse et je vis du sexe torride» -, que cela passe par un éveil de la sensualité, presque comme lorsqu’on est adolescente, mais d’une manière plus adulte, cela me paraissait intéressant.

Il est finalement beaucoup question de plaisir dans ce film... celui qui passe par la nourriture, celui qu’il y a à être bien dans son travail... Exactement. Et même le personnage de Carole, qui est en souffrance à ce moment de sa vie, est un personnage épicurien... Elle porte des vêtements fluides, de la soie, du cachemire, des choses qui sont douces à porter sur la peau. Elle travaille dans un bel endroit, elle mange bien, elle est élégante... Le réveil des sens de Marithé est accompagné par Carole. Marithé aide Carole à se structurer, tandis que Carole initie Marithé à un certain art de vivre.

En quoi ON A FAILLI ÊTRE AMIES est-il différent de vos films précédents ? CEUX QUI RESTENT était plus clairement un drame. LES INVITÉS DE MON PÈRE était assez nettement une comédie - mais une comédie grinçante, qui posait des questions morales. CORNOUAILLE était un film un peu plus élégiaque et mélancolique, moins réaliste. Là, j’ai eu plutôt envie de renouer avec la comédie. Et je voulais surtout que le fil de l’histoire soit ténu, que celle-ci ne soit pas marquée par de grands événements. ON A FAILLI ÊTRE AMIES, ce sont des petits moments de vie qui sont importants pour les personnages principaux, mais où personne ne meurt, où aucun bateau ne coule, aucune guerre n’éclate. Ce sont des micro événements qui font que la vie peut changer en profondeur... Il y a un film que j’adore, de Vincente Minnelli, qui s’appelle THE COBWEB (La toile d’araignée), dont le thème est : «Il faut changer les rideaux du salon». Ça se passe dans un hôpital psychiatrique. Le directeur, joué par Richard Widmark, décide que, à des fins thérapeutiques, ce sont les patients qui vont choisir le tissu, coudre, etc. En même temps, de son côté, la femme du directeur, avec qui c’est un peu conflictuel, se dit que c’est elle qui va s’en occuper. Du fait que l’intrigue est assez minimaliste et n’occupe pas le devant de la scène, les caractères peuvent se déployer et prendre tout l’espace du film. Qui est superbe ! Donc, je m’étais dit : « Je vais partir sur un truc du type : il faut changer les rideaux du salon »...

Sur la forme, le film n’est-il pas moins «rugueux » que les précédents ? Disons plus optimiste. L’histoire dit qu’il y a la possibilité d’une deuxième vie, même complètement différente de la première, et à n’importe quel âge. Dans mes précédents films, mes personnages étaient plus cabossés. Et tous passaient par un moment où ils devaient finir par accepter le chagrin, ou alors vivre un deuil. Alors que là, il n’y a pas, pour les personnages, d’obligation de passer par la case « purgatoire» avant d’accéder à une nouvelle vie. Elles vont aller mieux tout de suite. Ces deux femmes, Carole et Marithé, franchement, elles se seraient rencontrées à d’autres moments de leur vie, elles auraient pu être amies. On sent qu’il y a une affection naissante entre elles. Sauf qu’elles ont besoin d’avancer. C’est drôle... c’est le premier film où je développe une rencontre entre deux femmes, et pas une rencontre entre un homme et une femme, et finalement : c’est plus positif !... Certes, elles se sont un peu tiré dans les pattes, mais elles se sont finalement fait du bien.

Les acteurs louent vos qualités de directrice d’acteurs, nourries par votre premier métier, qui est le leur – celui d’actrice. Quelles qualités recherchez-vous chez eux? J’attends des acteurs qu’ils aient une grande hotte avec pleins de jouets différents à leur disposition, la capacité d’aller les chercher vite et de passer d’un registre à un autre, de la comédie au drame, qu’ils aient donc une grande mobilité... Mes partitions, les acteurs me l’ont souvent dit, sont assez difficiles à interpréter, parce que je joue sur plein de changements de registre, ce qui demande une certaine virtuosité. En même temps, j’ai horreur de la virtuosité visible ! Et je suis très en demande de sincérité. Je n’aime pas voir les tours de passe-passe, mais j’aime bien que les gens les fassent quand même !... Tout cela est un peu contradictoire. Je veux des acteurs qui aient suffisamment de mobilité pour passer d’un état à un autre, rapidement, mais je veux que ces états soient nourris et vrais à chaque fois. Une fois, sur le tournage de CEUX QUI RESTENT, Emmanuelle (Devos) m’avait dit : « On ne peut pas te la faire à toi ». Voilà ! J’ai un côté : « On ne peut pas me la faire »! Parce que je les vois, les petites enjolivures, les petits cache-misères, les petites béquilles, les petits machins mignons, où il n’y a pas grand chose derrière !

Au bout de quatre longs métrages, il commence à y avoir, autour de vous, pas mal de fidèles sur le plateau et hors plateau. Une famille Le Ny?  Oui. Il y a une équipe. Et c’est très, très important pour moi qu’il y ait une équipe. Je travaille autant que possible avec les mêmes techniciens, même si, bien sûr, il y en a toujours qui ne sont pas libres, ce sont les aléas des emplois du temps. Et c’est très bien de voir aussi des têtes passer, cela force à ne pas ronronner, cela amène du vent frais. Mais je suis très dépendante de ceux avec qui je travaille, parce qu’il y en a beaucoup qui m’ont tout appris. Sur ON A FAILLI ÊTRE AMIES, hormis Jérôme Alméras, le chef opérateur, avec qui je travaillais pour la première fois et qui a fait un travail super, la plupart de ceux qui étaient là avaient déjà travaillé avec moi au moins une fois. Ces gens m’ont tout appris. Ça aide aussi dans un rapport de travail. Car ils me disent les choses. Quand ils trouvent que je déconne, quand ils pensent que ce que je fais ne va pas bien ou que cela ne va pas marcher, ils n’ont pas peur de me le dire ! Et c’est toujours une discussion riche, qui m’oblige à réfléchir. Je peux m’appuyer sur eux, ce sont des personnes en qui j’ai entièrement confiance, avec qui l’on est dans un processus de travail détendu... et qui sont impitoyables, aussi !

Entretien avec Anne Le Ny (On a failli être amies pressbook)

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