La Cinémathèque française -
Musée du cinéma. 51, rue de Bercy, 75012 Paris.
http://www.cinematheque.fr/. Visited on 28 Dec, 2013.
The exhibition website
http://www.pasoliniroma.com/#!/en/index
"La culture est une résistance à la distraction"
- Pier Paolo Pasolini
PASOLINI ROMA
LA ROME DE PASOLINI
L'exposition, du 16 octobre 2013 – 26 janvier 2014
Commissariat: Gianni Borgna, Alain Bergala, Jordi Balló
16 octobre 2013 – 26 janvier 2014
Une coproduction du
Centre de Cultura Contemporània, Barcelone: 22 mai -15 septembre 2013
La Cinémathèque française, Paris: 16 octobre 2013- 26 janvier 2014
Palazzo delle Esposizioni, Rome: 15 avril-20 juillet 2014
Martin-Gropius-Bau, Berlin: 11 septembre 2014-5 janvier 2015
ALAIN BERGALA: "Pasolini, qui n'était pas romain, est arrivé dans la capitale en 1950 à l'âge de 28 ans, pauvre, déshonoré, en exil involontaire du Frioul maternel. À sa mort dramatique sur un terrain vague d'Ostie, 25 ans plus tard, en 1975, il était devenu une figure majeure du monde intellectuel et artistique romain. 38 ans après sa mort, la vision qu'il a eue de son pays est toujours la plus actuelle pour les Italiens, et éclaire plus largement le devenir de nos sociétés européennes. Rome a été le principal combustible de cette incroyable énergie de création et d'interventions que Pasolini a déployée pendant ces 25 années de vie artistique et publique. Approcher Pasolini dans ses rapports avec la ville de Rome, c'est entrer de plain-pied dans tout ce qui le constitue et le définit : l'amitié, la littérature, la politique, l'amour, le sexe, le cinéma."
25 ANS DE PASSION
"Pour lui, Rome n'a pas été un décor ni un simple lieu de vie. Il a connu avec cette ville une relation passionnelle, avec des sentiments mêlés de haine et d'amour, des phases d'attraction et de rejet, des tentations d'éloignement et les plaisirs du retour. Les circonstances difficiles de son arrivée à Rome l'ont immergé dans un monde et un langage qui n'étaient pas les siens, ceux des sous-prolétaires des « borgate », des banlieues pauvres et populaires où la précarité de sa situation le contraint d'habiter. Cette rencontre avec l'altérité, comme cela arrive parfois en amour, va être un puissant moteur de création. De cet univers dont il ne savait rien, va naître une puissante inspiration et il va y trouver, sans avoir eu à les chercher, les sujets constitutifs de ses premiers romans et de ses premiers films."
"Plus tard, Rome va devenir pour l'homme public qu'a été aussi Pasolini, analyste infatigable du devenir de la société italienne, le principal espace d'observation, son champ permanent d'étude, de réflexion et de combat. Ce sera aussi le théâtre des persécutions dont il ne va jamais cesser de faire l'objet, de la part des pouvoirs de tous ordres et de l'acharnement des médias pour lesquels il sera pendant vingt ans le bouc-émissaire, l'homme à abattre, à cause de sa différence et de ses prises de position."
"C'est à partir des transformations de cette ville qu'il a tant aimée, qu'il analyse la mutation de son pays au tournant des années 60-70, d'où est issue pour l'essentiel l'Italie d'aujourd'hui. Mutations qui l'éloignent de plus en plus de cette Rome où il assiste, les poings serrés, au triomphe de la société de consommation et à la montée en puissance d'une télévision nationale qui impose le même modèle petit-bourgeois à une population ayant perdu toute innocence et tout sens du sacré. Paris, New York, mais surtout le Tiers-Monde – l'Inde, l'Afrique – vont devenir ses lignes de fuite, même si son centre de gravité reste toujours la capitale désaimée. Rome a constitué Pasolini romancier et cinéaste, mais la rencontre de cet homme et de cette ville a agi, comme en amour, dans les deux sens. Il y a une Rome d'avant et une Rome d'après Pasolini. Ses écrits et ses films en ont créé un nouvel imaginaire, en ont déplacé les lignes symboliques, en ont refondé la géographie, lui ont rendu une langue jusque-là trop minoritaire pour être audible, en ont prévu l'avenir. Petrolio, sa dernière grande œuvre littéraire, inachevée du fait de son assassinat, est l'ultime écriture, terriblement désillusionnée, de ce mythe."
PASOLINI DECOUVRE ET REINVENTE LE CINEMA
"L'écrivain Pasolini naît au cinéma à presque 40 ans, inspiré par ces quartiers périphériques de Rome et par leur population marginale, avec son propre langage, sa propre vision de la vie, jusque-là ignorés, invisibles. Il va inventer pour eux une nouvelle langue cinématographique qu'il définit comme la langue même de la réalité. C'est le succès et le scandale de son premier roman, Ragazzi di vita, et ses travaux alimentaires de scénariste qui vont le sortir de la quasi-misère et lui ouvrir le chemin du cinéma: des cinéastes comme Fellini ou Bolognini lui passent commande de scènes de maquereaux, de prostituées, de marginaux. Ses films vont suivre les mêmes étapes que celles de son amour et de ses désillusions pour Rome et la jeunesse romaine."
"Une première époque (Accattone, Mamma Roma, La ricotta) est celle d'un cinéma réaliste-lyrique, ancré dans la réalité des faubourgs de la ville, suivie de L'Évangile selon Saint Matthieu qu'il veut accessible à tous, croyants ou non croyants. Il tient à se démarquer du néo-réalisme rossellinien comme du cinéma de la Nouvelle Vague qui lui est contemporain, pour trouver ses propres modèles de représentation. Quand il commence son premier film, Accattone, il ne connaît à peu près rien à la technique du cinéma mais il sait exactement ce qu'il en attend : isoler et sacraliser des morceaux du réel, un visage, un coin de mur, un geste énigmatique. Son modèle de représentation, c'est celui de Masaccio, de Giotto : sacralité, frontalité, séparation du fond et du personnage. Puis, avec le temps des déceptions et du désamour de Rome, il manifestera un rejet radical de la culture de masse et de toute récupération consumériste de ses œuvres. Il choisit, par réaction, une forme de cinéma plus cryptée, aristocratique, travaillant la métaphore et le mythe (Œdipe Roi, Porcherie, Théorème, Médée)."
"Dans les années 70, dans sa Trilogie (Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et une Nuits), il tente avec l'énergie du désespoir d'échapper à ce qu'il a appelé le « génocide culturel » de l'Italie, en filmant des corps qu'il voudrait encore innocents et un érotisme libre, joyeux et païen. Mais il va abjurer rapidement cette tentative volontariste et réactive dont il juge qu'elle a perdu son sens devant la fausse tolérance sexuelle du pouvoir consumériste. Il tourne alors son dernier film, Salò ou les cent vingt journées de Sodome, objet unique dans l'histoire du cinéma, d'une absolue radicalité, intraitable, une mise à l'épreuve permanente du spectateur à qui l'écran renvoie sans cesse son propre regard auquel il refuse toute entrée empathique. Cette mise à mort du dispositif de l'identification au cinéma coïncide avec le massacre de son auteur, qui n'assistera pas à la première de son film."
C'EST PASOLINI QUI NOUS GUIDE
"L'exposition Pasolini Roma s'organise de façon chronologique en six sections, qui vont du jour de l'arrivée à Rome de Pasolini et de sa mère, à la nuit de son massacre aux confins de la plage d'Ostie, avec un petit flash-back sur ses années frioulanes. On y retrouve, d'étape en étape, quelques fils rouges qui permettent de suivre à la trace la traversée d'un quart de siècle (1950-1975) par cet homme d'une incroyable vitalité : les lieux de vie, les lieux des romans et des films, la poésie, le cinéma, les amis, les amours, les persécutions, les combats et les engagements dans la cité, les abjurations. On y trouve des dessins et des tableaux de Pasolini, dont certains autoportraits, mais aussi la galerie idéale des peintres contemporains qu'il a décrite avec précision dans un poème: Morandi, Mafai, De Pisis, Rosai, Guttuso. Jamais exposition sur Pasolini n'a été riche d'autant de matériaux de toutes natures, éclairant toutes les facettes de ses multiples activités, dont certains sont inédits à ce jour. Tous ces matériaux sont de première main : tout Pasolini mais rien que Pasolini. Des murs-écrans scandent le parcours de section en section, où le visiteur est immergé dans la Rome d'aujourd'hui, dans des lieux pasoliniens qui permettent de mesurer la justesse de ses analyses sur le devenir de la ville."
"Nous avons voulu que cette exposition accompagne au plus près les années romaines de cette vie foisonnante, en tension permanente, celle d'un homme créant et luttant sur tous les fronts. Nous avons voulu que le visiteur ait l'impression que c'est Pasolini lui-même qui lui parle, le guide, et l'autorise avec bienveillance à le suivre et à découvrir en même temps que lui un cheminement imprévisible, sans cesse ouverte aux rencontres, aux doutes, aux revirements, aux abjurations, aux départs nouveaux. Le visiteur y découvrira un homme à la fois exceptionnel (par sa puissance de création, son incroyable vitalité, ses combats permanents, sa passion pour tout ce qu'il entreprend), et un homme comme tous les autres, avec ses moments d'exaltation, de croyance, d'enthousiasme, de joie, mais aussi ses moments de doute et d'angoisses. Nous aimerions qu'en sortant de l'exposition, le visiteur ait partagé ses émotions et emporte avec lui le sentiment que Pasolini est plus que jamais actuel, que ses films et ses livres nous parlent de nous, que ses analyses nous aident à comprendre le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui." ALAIN BERGALA
Like Jean Cocteau, Pier Paolo Pasolini was a multi-talent, and although this exhibition focuses on the city of Rome, there are flashbacks and reflections of many other important locations all over Italy and extending to the Middle East and India.
But "all roads lead to Rome".
The scope is epic, covering decades of social change during Pasolini's lifetime, fascinating circles and friendships, and many fields of cultural activity.
Divided chronologically into six sections, each introduced by a huge contemporary map of Rome, marked with spots of special importance.
I paid special attention to the self-portraits painted by Pasolini.
There was a presence of the death drive in Pasolini's life since the days of youth. Pasolini had to suppress his sexual orientation, and all his life he battled in dozens of trials, illustrated in a huge wall-to-wall diagram in the exhibition.
The exhibition's résumé about the circumstances of Pasolini's death includes much unsettling information that I had not been aware of. The official investigations are still going on.
One of the most memorable and substantial exhibitions of a film artist I have visited. Indispensable.
PASOLINI ROMA: exhibition programme text
SIX STATIONS POUR SUIVRE À LA TRACE 25 ANS DE LA VIE ROMAINE DE PASOLINI
SECTION 1: 1950-1954
Pasolini débarque du Frioul en gare de Rome avec sa mère Susanna en janvier 1950, déshonoré et sans travail. Ils vont trouver à se loger dans une maison de pauvre dans un quartier de pauvres, près de la grande prison de Rebibbia. Il devient enseignant à l'autre bout de rome pour un salaire de misère. Mais il écrit des poésies et travaille à un premier roman. Il découvre aussi que "Rome est divine", avec les rencontres faciles des ragazzi de Rome à l'érotisme libre et païen.
SECTION 2: 1955-1960
Avec son premier roman, Ragazzi di vita, il fait entrer dans la littérature italienne le dialecte "romanesco" parlé par les voyous et les sous-prolétaires des quartiers pauvres. Le roman fait scandale mais le rend célébre. Des cinéastes réputés comme Fellini, Bolognini, lui commandent des scènes en romanesco pour leurs scénarios. Il peut enfin quitter son poste d'enseignant, s'acheter sa première voiture et se rapprocher du centre de Rome. Il devient l'ami d'Alberto Moravia et d'Elsa Morante avec qui il entreprend de grands voyages. Il rencontre une jeune chanteuse sulfureuse et provocante, Laura Betti.
SECTION 3: 1961-1963
À trente neuf ans, l'écrivain Pasolini découvre avec enthousiasme le langage du cinéma avec son premier film, Accattone. Il enchaîne deux autres film sur la Rome des "borgate": Mamma Roma et La ricotta qui lui vaut un procès retentissant pour blasphème, premier d'une longue série. Il fait une rencontre amoureuse décisive, celle d'un jeune apprenti menuisier Ninetto Davoli, qui va devenir son compagnon pendant neuf ans, et son acteur et ami jusqu'à sa mort.
SECTION 4: 1963-1965
Pasolini s'installe dans le nouveau quartier résidentiel de l'EUR, au Sud de Rome. Il sillonne l'Italie dans tous les sens, micro à la main, pour un film enquête sur la sexualité en Italie, Comizi d'amore. Après des repérages en Palestine, il tourne en Italie du sud L'Évangile selon Saint Matthiu qui obtient le Prix spécial du jury et le Grand Prix de l'Office catholique du cinéma au festival de Venise 1964. À Paris, où il rencontre Jean-Paul Sartre, le film est projeté à Notre-Dame.
SECTION 5: 1966-1970
Commence pour Pasolini l'époque des déceptions et des dégoûts. En un mois de convalescence, il écrit les six pièces de son théâtre. En 1968 il fait scandale en proclamant dans un poème qu'il se sent plus proche des CRS, fils de pauvres, qui n'ont pas eu le choix, que des étudiants fils-à-papa. Il découvre New York et engage un dialogue avec les grands intellectuels parisiens des années 60. Il fait savoir haut et fort à quel point il hait la télévision et la société de consommation, nouvelles formes du fascisme à ses yeux. Il demande à Maria Callas d'être sa Médée et part avec elle en vacances d'amitié amoureuse.
SECTION 6: 1970-1975
Pasolini fait construire deux maisons, à une heure et demie de voiture de Rome. Une maison d'écrivain et de peintre près de Viterbe, la Tour de Chia. Une maison d'amitié, avec Moravia, sur la dune de Sabaudia, face à la mer. Il travaille avec énergie à son grand roman total, Pétrole, qui restera inachevé. Il ne cesse de s'attaquer dans la presse à tous les pouvoirs en place. Il enchaîne Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et une nuits pour chanter l'innocence perdue des corps et de l'érotisme païen, mais abjure solennellement cette Trilogie avant d'entreprendre Salò ou les 120 jours de Sodome qu'il aura à peine le temps de terminer avant son assassinat un matin de novembre entre un terrain de foot et la plage d'Ostie.
The exhibition website
http://www.pasoliniroma.com/#!/en/index
"La culture est une résistance à la distraction"
- Pier Paolo Pasolini
PASOLINI ROMA
LA ROME DE PASOLINI
L'exposition, du 16 octobre 2013 – 26 janvier 2014
Commissariat: Gianni Borgna, Alain Bergala, Jordi Balló
16 octobre 2013 – 26 janvier 2014
Une coproduction du
Centre de Cultura Contemporània, Barcelone: 22 mai -15 septembre 2013
La Cinémathèque française, Paris: 16 octobre 2013- 26 janvier 2014
Palazzo delle Esposizioni, Rome: 15 avril-20 juillet 2014
Martin-Gropius-Bau, Berlin: 11 septembre 2014-5 janvier 2015
ALAIN BERGALA: "Pasolini, qui n'était pas romain, est arrivé dans la capitale en 1950 à l'âge de 28 ans, pauvre, déshonoré, en exil involontaire du Frioul maternel. À sa mort dramatique sur un terrain vague d'Ostie, 25 ans plus tard, en 1975, il était devenu une figure majeure du monde intellectuel et artistique romain. 38 ans après sa mort, la vision qu'il a eue de son pays est toujours la plus actuelle pour les Italiens, et éclaire plus largement le devenir de nos sociétés européennes. Rome a été le principal combustible de cette incroyable énergie de création et d'interventions que Pasolini a déployée pendant ces 25 années de vie artistique et publique. Approcher Pasolini dans ses rapports avec la ville de Rome, c'est entrer de plain-pied dans tout ce qui le constitue et le définit : l'amitié, la littérature, la politique, l'amour, le sexe, le cinéma."
25 ANS DE PASSION
"Pour lui, Rome n'a pas été un décor ni un simple lieu de vie. Il a connu avec cette ville une relation passionnelle, avec des sentiments mêlés de haine et d'amour, des phases d'attraction et de rejet, des tentations d'éloignement et les plaisirs du retour. Les circonstances difficiles de son arrivée à Rome l'ont immergé dans un monde et un langage qui n'étaient pas les siens, ceux des sous-prolétaires des « borgate », des banlieues pauvres et populaires où la précarité de sa situation le contraint d'habiter. Cette rencontre avec l'altérité, comme cela arrive parfois en amour, va être un puissant moteur de création. De cet univers dont il ne savait rien, va naître une puissante inspiration et il va y trouver, sans avoir eu à les chercher, les sujets constitutifs de ses premiers romans et de ses premiers films."
"Plus tard, Rome va devenir pour l'homme public qu'a été aussi Pasolini, analyste infatigable du devenir de la société italienne, le principal espace d'observation, son champ permanent d'étude, de réflexion et de combat. Ce sera aussi le théâtre des persécutions dont il ne va jamais cesser de faire l'objet, de la part des pouvoirs de tous ordres et de l'acharnement des médias pour lesquels il sera pendant vingt ans le bouc-émissaire, l'homme à abattre, à cause de sa différence et de ses prises de position."
"C'est à partir des transformations de cette ville qu'il a tant aimée, qu'il analyse la mutation de son pays au tournant des années 60-70, d'où est issue pour l'essentiel l'Italie d'aujourd'hui. Mutations qui l'éloignent de plus en plus de cette Rome où il assiste, les poings serrés, au triomphe de la société de consommation et à la montée en puissance d'une télévision nationale qui impose le même modèle petit-bourgeois à une population ayant perdu toute innocence et tout sens du sacré. Paris, New York, mais surtout le Tiers-Monde – l'Inde, l'Afrique – vont devenir ses lignes de fuite, même si son centre de gravité reste toujours la capitale désaimée. Rome a constitué Pasolini romancier et cinéaste, mais la rencontre de cet homme et de cette ville a agi, comme en amour, dans les deux sens. Il y a une Rome d'avant et une Rome d'après Pasolini. Ses écrits et ses films en ont créé un nouvel imaginaire, en ont déplacé les lignes symboliques, en ont refondé la géographie, lui ont rendu une langue jusque-là trop minoritaire pour être audible, en ont prévu l'avenir. Petrolio, sa dernière grande œuvre littéraire, inachevée du fait de son assassinat, est l'ultime écriture, terriblement désillusionnée, de ce mythe."
PASOLINI DECOUVRE ET REINVENTE LE CINEMA
"L'écrivain Pasolini naît au cinéma à presque 40 ans, inspiré par ces quartiers périphériques de Rome et par leur population marginale, avec son propre langage, sa propre vision de la vie, jusque-là ignorés, invisibles. Il va inventer pour eux une nouvelle langue cinématographique qu'il définit comme la langue même de la réalité. C'est le succès et le scandale de son premier roman, Ragazzi di vita, et ses travaux alimentaires de scénariste qui vont le sortir de la quasi-misère et lui ouvrir le chemin du cinéma: des cinéastes comme Fellini ou Bolognini lui passent commande de scènes de maquereaux, de prostituées, de marginaux. Ses films vont suivre les mêmes étapes que celles de son amour et de ses désillusions pour Rome et la jeunesse romaine."
"Une première époque (Accattone, Mamma Roma, La ricotta) est celle d'un cinéma réaliste-lyrique, ancré dans la réalité des faubourgs de la ville, suivie de L'Évangile selon Saint Matthieu qu'il veut accessible à tous, croyants ou non croyants. Il tient à se démarquer du néo-réalisme rossellinien comme du cinéma de la Nouvelle Vague qui lui est contemporain, pour trouver ses propres modèles de représentation. Quand il commence son premier film, Accattone, il ne connaît à peu près rien à la technique du cinéma mais il sait exactement ce qu'il en attend : isoler et sacraliser des morceaux du réel, un visage, un coin de mur, un geste énigmatique. Son modèle de représentation, c'est celui de Masaccio, de Giotto : sacralité, frontalité, séparation du fond et du personnage. Puis, avec le temps des déceptions et du désamour de Rome, il manifestera un rejet radical de la culture de masse et de toute récupération consumériste de ses œuvres. Il choisit, par réaction, une forme de cinéma plus cryptée, aristocratique, travaillant la métaphore et le mythe (Œdipe Roi, Porcherie, Théorème, Médée)."
"Dans les années 70, dans sa Trilogie (Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et une Nuits), il tente avec l'énergie du désespoir d'échapper à ce qu'il a appelé le « génocide culturel » de l'Italie, en filmant des corps qu'il voudrait encore innocents et un érotisme libre, joyeux et païen. Mais il va abjurer rapidement cette tentative volontariste et réactive dont il juge qu'elle a perdu son sens devant la fausse tolérance sexuelle du pouvoir consumériste. Il tourne alors son dernier film, Salò ou les cent vingt journées de Sodome, objet unique dans l'histoire du cinéma, d'une absolue radicalité, intraitable, une mise à l'épreuve permanente du spectateur à qui l'écran renvoie sans cesse son propre regard auquel il refuse toute entrée empathique. Cette mise à mort du dispositif de l'identification au cinéma coïncide avec le massacre de son auteur, qui n'assistera pas à la première de son film."
C'EST PASOLINI QUI NOUS GUIDE
"L'exposition Pasolini Roma s'organise de façon chronologique en six sections, qui vont du jour de l'arrivée à Rome de Pasolini et de sa mère, à la nuit de son massacre aux confins de la plage d'Ostie, avec un petit flash-back sur ses années frioulanes. On y retrouve, d'étape en étape, quelques fils rouges qui permettent de suivre à la trace la traversée d'un quart de siècle (1950-1975) par cet homme d'une incroyable vitalité : les lieux de vie, les lieux des romans et des films, la poésie, le cinéma, les amis, les amours, les persécutions, les combats et les engagements dans la cité, les abjurations. On y trouve des dessins et des tableaux de Pasolini, dont certains autoportraits, mais aussi la galerie idéale des peintres contemporains qu'il a décrite avec précision dans un poème: Morandi, Mafai, De Pisis, Rosai, Guttuso. Jamais exposition sur Pasolini n'a été riche d'autant de matériaux de toutes natures, éclairant toutes les facettes de ses multiples activités, dont certains sont inédits à ce jour. Tous ces matériaux sont de première main : tout Pasolini mais rien que Pasolini. Des murs-écrans scandent le parcours de section en section, où le visiteur est immergé dans la Rome d'aujourd'hui, dans des lieux pasoliniens qui permettent de mesurer la justesse de ses analyses sur le devenir de la ville."
"Nous avons voulu que cette exposition accompagne au plus près les années romaines de cette vie foisonnante, en tension permanente, celle d'un homme créant et luttant sur tous les fronts. Nous avons voulu que le visiteur ait l'impression que c'est Pasolini lui-même qui lui parle, le guide, et l'autorise avec bienveillance à le suivre et à découvrir en même temps que lui un cheminement imprévisible, sans cesse ouverte aux rencontres, aux doutes, aux revirements, aux abjurations, aux départs nouveaux. Le visiteur y découvrira un homme à la fois exceptionnel (par sa puissance de création, son incroyable vitalité, ses combats permanents, sa passion pour tout ce qu'il entreprend), et un homme comme tous les autres, avec ses moments d'exaltation, de croyance, d'enthousiasme, de joie, mais aussi ses moments de doute et d'angoisses. Nous aimerions qu'en sortant de l'exposition, le visiteur ait partagé ses émotions et emporte avec lui le sentiment que Pasolini est plus que jamais actuel, que ses films et ses livres nous parlent de nous, que ses analyses nous aident à comprendre le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui." ALAIN BERGALA
Like Jean Cocteau, Pier Paolo Pasolini was a multi-talent, and although this exhibition focuses on the city of Rome, there are flashbacks and reflections of many other important locations all over Italy and extending to the Middle East and India.
But "all roads lead to Rome".
The scope is epic, covering decades of social change during Pasolini's lifetime, fascinating circles and friendships, and many fields of cultural activity.
Divided chronologically into six sections, each introduced by a huge contemporary map of Rome, marked with spots of special importance.
I paid special attention to the self-portraits painted by Pasolini.
There was a presence of the death drive in Pasolini's life since the days of youth. Pasolini had to suppress his sexual orientation, and all his life he battled in dozens of trials, illustrated in a huge wall-to-wall diagram in the exhibition.
The exhibition's résumé about the circumstances of Pasolini's death includes much unsettling information that I had not been aware of. The official investigations are still going on.
One of the most memorable and substantial exhibitions of a film artist I have visited. Indispensable.
PASOLINI ROMA: exhibition programme text
SIX STATIONS POUR SUIVRE À LA TRACE 25 ANS DE LA VIE ROMAINE DE PASOLINI
SECTION 1: 1950-1954
Pasolini débarque du Frioul en gare de Rome avec sa mère Susanna en janvier 1950, déshonoré et sans travail. Ils vont trouver à se loger dans une maison de pauvre dans un quartier de pauvres, près de la grande prison de Rebibbia. Il devient enseignant à l'autre bout de rome pour un salaire de misère. Mais il écrit des poésies et travaille à un premier roman. Il découvre aussi que "Rome est divine", avec les rencontres faciles des ragazzi de Rome à l'érotisme libre et païen.
SECTION 2: 1955-1960
Avec son premier roman, Ragazzi di vita, il fait entrer dans la littérature italienne le dialecte "romanesco" parlé par les voyous et les sous-prolétaires des quartiers pauvres. Le roman fait scandale mais le rend célébre. Des cinéastes réputés comme Fellini, Bolognini, lui commandent des scènes en romanesco pour leurs scénarios. Il peut enfin quitter son poste d'enseignant, s'acheter sa première voiture et se rapprocher du centre de Rome. Il devient l'ami d'Alberto Moravia et d'Elsa Morante avec qui il entreprend de grands voyages. Il rencontre une jeune chanteuse sulfureuse et provocante, Laura Betti.
SECTION 3: 1961-1963
À trente neuf ans, l'écrivain Pasolini découvre avec enthousiasme le langage du cinéma avec son premier film, Accattone. Il enchaîne deux autres film sur la Rome des "borgate": Mamma Roma et La ricotta qui lui vaut un procès retentissant pour blasphème, premier d'une longue série. Il fait une rencontre amoureuse décisive, celle d'un jeune apprenti menuisier Ninetto Davoli, qui va devenir son compagnon pendant neuf ans, et son acteur et ami jusqu'à sa mort.
SECTION 4: 1963-1965
Pasolini s'installe dans le nouveau quartier résidentiel de l'EUR, au Sud de Rome. Il sillonne l'Italie dans tous les sens, micro à la main, pour un film enquête sur la sexualité en Italie, Comizi d'amore. Après des repérages en Palestine, il tourne en Italie du sud L'Évangile selon Saint Matthiu qui obtient le Prix spécial du jury et le Grand Prix de l'Office catholique du cinéma au festival de Venise 1964. À Paris, où il rencontre Jean-Paul Sartre, le film est projeté à Notre-Dame.
SECTION 5: 1966-1970
Commence pour Pasolini l'époque des déceptions et des dégoûts. En un mois de convalescence, il écrit les six pièces de son théâtre. En 1968 il fait scandale en proclamant dans un poème qu'il se sent plus proche des CRS, fils de pauvres, qui n'ont pas eu le choix, que des étudiants fils-à-papa. Il découvre New York et engage un dialogue avec les grands intellectuels parisiens des années 60. Il fait savoir haut et fort à quel point il hait la télévision et la société de consommation, nouvelles formes du fascisme à ses yeux. Il demande à Maria Callas d'être sa Médée et part avec elle en vacances d'amitié amoureuse.
SECTION 6: 1970-1975
Pasolini fait construire deux maisons, à une heure et demie de voiture de Rome. Une maison d'écrivain et de peintre près de Viterbe, la Tour de Chia. Une maison d'amitié, avec Moravia, sur la dune de Sabaudia, face à la mer. Il travaille avec énergie à son grand roman total, Pétrole, qui restera inachevé. Il ne cesse de s'attaquer dans la presse à tous les pouvoirs en place. Il enchaîne Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et une nuits pour chanter l'innocence perdue des corps et de l'érotisme païen, mais abjure solennellement cette Trilogie avant d'entreprendre Salò ou les 120 jours de Sodome qu'il aura à peine le temps de terminer avant son assassinat un matin de novembre entre un terrain de foot et la plage d'Ostie.
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