Thursday, April 06, 2023

À mon seul désir / My Sole Desire


Lucie Borleteau: À mon seul désir / My Sole Desire (FR 2023) avec Zita Hanrot (Mia) and Louise Chevillotte (Aurore).

Artist: anonymous: À mon seul désir (La Dame à la licorne: La sixième tapisserie). Date: between 1484 and 1500. Medium: tapestry. Height: 377 cm (12.3 ft); width: 473 cm (15.5 ft). Collection: Musée de Cluny, Musée national du Moyen Âge, Paris. Accession number: Cl. 10834 (Musée de Cluny).

FR © 2022 Aspara Films. Année de production 2022, année de sortie 2023 | 1H57 | DCP | 5.1 | SCOPE | COULEUR
    Un long-métrage de Lucie Borleteau. Produit par Aspara Films. Lucie Borleteau: À mon seul désir (2022), Les Vies rêvées (2021), Ils sont vivants (2020).
    Genre : Drame romantique / Langue de tournage : français / Nationalité : 100% français / Numéro de visa : 151.930 / Interdiction : moins de 12 ans.

Direction de production Dimitri LYKAVIERIS
Régie Armel ADOU KOUASSI
Direction de postproduction Victoire BOISSONT-FERTÉ
Production Marine ARRIGHI DE CASANOVA (ASPARA FILMS)
Avec le soutien du CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE
En association avec PYRAMIDE,
Avec la participation de CANAL + & CINÉ +
Avec le soutien d’ARTE COFINOVA
Avec le soutien de LA PROCIREP
Distribution France et ventes internationales PYRAMIDE

LISTE TECHNIQUE:
Réalisation Lucie BORLETEAU
Scénario Lucie BORLETEAU & Clara BOURREAU avec la collaboration de Laure GIAPPICONI
Directeur de la photo Alexis KAVYRCHINE
Montage Clémence DIARD
Décors Aurélien MAILLÉ
Costumes Alexia CRISP JONES
1er assistant mise en scène Hadrien BICHET
Casting Colia VRANICI
Superviseur musical Frederic JUNQUA
Musique originale Pierre DESPRATS
Chansons originales Rebeka WARRIOR
Ingénieure du son Marie-Clotilde CHÉRY
Montage son Sarah LELU
Mixage Edouard MORIN
Electricité Mariore MANNEVILLE
Machinerie Bruno MARTIN
Étalonnage Yov MOOR

LISTE ARTISTIQUE:
Zita Hanrot : Mia
Louise Chevillotte : Aurore
Laure Giappiconi : Elody
Pascal Casablanc : Pablo
Sieme Miladi : Savannah
Yuliya Abiss : Sati
Tokou Bogui : Candy
Céline Fuhrer : Vergine
Thimotée Robart : Benjamin
Melvil Poupaud

Durée : 1 h 59 min
Sortie de festival: 12 décembre 2022 (Les Arcs Film Festival)
Sortie en France : 5 avril 2023 (en salles)
Viewed at Gaumont Montparnos 20, 16 rue d'Odessa, Paris le 14e, 6 April 2023

Official synopsis: "Vous n’êtes jamais entrés dans un club de strip-tease n’est-ce pas ? Mais vous en avez déjà eu envie ... au moins une fois... vous n’avez pas osé, c’est tout. Ce film raconte l'histoire de quelqu'un qui a osé."

Wikipédia: La Dame à la licorne: "Cinq de ces représentations forment une allégorie des cinq sens, symbolisés par l'occupation à laquelle se livre la Dame :

    Le touché : la dame tient la corne de la licorne dans sa main ainsi que le mât d'un étendard.
    Le goût : la dame prend ce qui pourrait être une dragée d'une coupe que lui tend sa servante, et l'offre à un oiseau ;
    L'odorat : pendant que la dame fabrique une couronne de fleurs, un singe respire le parfum d'une fleur, dont il s'est emparé ;
    L'ouïe : la dame joue d'un petit orgue ;
    La vue : la licorne se contemple dans un miroir tenu par la dame ;

La sixième tapisserie, celle du sixième sens, ne s'interprète que par déduction de l'hypothèse des cinq sens. On peut y lire, encadrée des initiales A et I, la devise « Mon seul désir » au haut d'une tente bleue.

On peut rapprocher ces six tapisseries d'un poème de François Villon, Louange à la Cour ou requête à la Cour de Parlement, qui développe le thème des cinq sens en y ajoutant le cœur, qui serait d'après Jean Gerson un sixième sens, siège des passions et du désir, de l'âme, de la vie morale et du libre arbitre. Dans un poème daté de 1501, Olivier de La Marche écrit à la princesse Éléonore de Habsbourg, de renoncer aux plaisirs de ses sens et d'ouvrir son cœur afin qu'il « soit riche d'aulmosnes généreuses ».

Dans cette sixième tapisserie, la dame se défait du collier qu'elle portait dans les autres tapisseries. À l'inverse de tentures comme celle de la Chasse à la licorne du musée des Cloisters de New York, la licorne, symbole de pureté, ne semble jouer qu'un rôle annexe dans cette tapisserie. On notera aussi un article d’Alain Erlande-Brandenburg, écrit en 1977, où il émet l'hypothèse que la sixième tapisserie pourrait symboliser le renoncement aux sens. Jean Pierre Jourdan a aussi réalisé une étude, qui se base sur le pré-humanisme italien, de Marsile Ficin, optant pour une approche intellectuelle. Pour Jean-Patrice Boudet, cette tapisserie serait une allégorie du cœur, sixième sens, poussant la Dame à la charité chrétienne, revenant ainsi aux dires de Jean Gerson qui introduit la notion de « cœur », mais de manière plus moraliste : « comme d’un sixième sens qui mène les autres et fait la danse » . L'historien de l'art britannique Michael Camille relève que la dame de cette dernière tapisserie est la seule a avoir les cheveux courts, sans doute parce qu'elle a fait don de cheveux à son amant, comme dans de nombreuses sources littéraires.

Œuvre d'art par essence sans signification univoque, le système de la composition donne lieu à toutes sortes d'interprétations de la part de poètes comme d'historiens de l'art.

Parmi ces derniers, Marie-Élisabeth Bruel, propose de lire dans les six tentures, identifiées depuis 1921 comme une allégorie des cinq sens et du désir, les six Vertus allégoriques courtoises que Guillaume de Lorris présente dans son Roman de la Rose. La référence aux sens ne serait qu'accessoire. Les Vertus apparaissent successivement au héros du roman comme autant de femmes au cours du voyage initiatique qu'elles lui font poursuivre :

    Oiseuse, c'est-à-dire l'apparence superficielle, pour la Vue,
    Richesse, c'est-à-dire une forme brutale d'avidité, pour le Toucher,
    Franchise, c'est-à-dire une sensation directe et sans tromperie, pour le Goût,
    Liesse, c'est-à-dire une élévation de l'âme, pour l'Ouïe,
    Beauté, c'est-à-dire un ravissement de l'âme vers l'harmonie, pour l'Odorat.
    Largesse, c'est-à-dire la générosité, vertu suprême, pour "A Mon seul désir".

D'autres rapprochements ont été proposés avec d'autres œuvres littéraires postérieures et moins célèbres, et même avec des thèmes alchimiques.

Quelle que soit l'interprétation, et donc l'ordre des tentures, c'est une conception aristotélicienne d'élévation de l'âme par les sens, c'est-à-dire de subsomption des tendances animales ('επιθυμία) en un désir raisonné propre aux humains (βούλησις), qui est illustrée. Cependant, en mettant en scène le désir féminin, et en le présentant en position de charmer, La Dame à la licorne exprime une condition féminine moins aristocratique, plus bourgeoise, qui n'est plus celle du XIIIe siècle et du Roman de la Rose mais préfigure les précieuses et leur carte de Tendre.
"

AA: My Sole Desire is the name of a little strip-tease cabaret located in the 6th arrondissement of Paris.

The opening image, Gaumont's daisy / Marguerite logo, evokes to me Brigitte Bardot's En effeuillant la marguerite / Plucking the Daisy. Strip-tease in French is "effeuillage".

Aurore (Louise Chevillotte) steps inside the cabaret and is fascinated, even aroused, by the spectacle, especially by the magnetic Mia (Zita Hanrod). The film tells about Aurore's journey to the underworld, the forbidden realm of taboos. She breaks even her own boundaries.

Me Too and the male gaze have been discussed for five years. I guess that no man would now risk making a movie about strip-tease. But when a woman makes such a film it is different and original. In the press dossier, Lucie Borleteau calls it a "paradigm shift".

Based on first hand observation, Borleteau discovers a world of erotic spectacle in which the performers are not victims but in charge. They are not competitors but companions, in a spirit of sisterhood.

The gaze is reversed. The strip-tease dancers are the queens of the gaze, and the male voyeurs are seen exposed, in their full variety from timid boys of the backroom to bachelor night revellers.

In Lucie Borleteau's vision, My Sole Desire grows into a celebration of femininity: the energy, the joy, the fun and the grace of the female life force as God intended. As a strip-tease show, it delivers a full and satisfying evening of entertainment in the company of gorgeous women. It is different from the norm, from clichés, from Moulin Rouge idioms and Las Vegas pole dancing. It is original, playful, humoristic, eccentric, foolish, contemporary and irresistible.

The film is a celebration of bonding, friendship and love among women. Starting as colleagues and partners, Mia and Aurora turn into lovers.

A special feature in My Sole Desire is that having become a strip-tease dancer, Aurore starts to see everybody on the streets undressed, conveyed by charming special effects.

My Sole Desire evokes predecessors. Lorene Scafaria's The Hustlers (US 2019) with Constance Wu and Jennifer Lopez. Paul Verhoeven's Showgirls (US 1995) with Elizabeth Berkley and Gina Gershon. Mathieu Amalric's Tournée (FR 2010), a tour de France with American burlesque queens, with Amalric himself as the impresario.

As a tale about female companionship in sex work, I'm thinking about Max Ophuls's La Maison Tellier and Kenji Mizoguchi's Akasen chitai. Even in such a company, Lucie Borleteau stands up well. She creates a vivid sense of a community of performers from various backgrounds, ages and diversities. And a clientele from all walks of life. Stereotypes are overcome. Everybody is an individual.

Prostitution in France is officially forbidden, but as a private agreement it exists. The dancers are warned against it, but the newcomer Aurore, of all people, crosses the line and explores it. Strippers do private sessions which are monitored, but only within limits. Mia is disgusted when she learns about Aurore's transgression, but Borleteau's view is neutral and matter-of-fact.

The overall impression is amazingly sunny without being naive. We witness transgression attempts. We learn about harassment and abuse.

The erotic shows are real and revealing, mounted in an atmosphere of trust and safety, obeying the rules and regulations of CNC sensitivity training. The fair trade ambience enhances the experience.

The title My Sole Desire derives from a medieval series of tapestries on display in the Cluny Museum near Sorbonne. It is a fascinating artwork about the six senses and the six virtues. In the center is the Woman with the Unicorn, and the unicorn emblem is visible also on the wall outside the cabaret. We are left pondering its multiple meanings.

MATERIALS FROM THE DOSSIER DE PRESSE:
MATERIALS FROM THE DOSSIER DE PRESSE:

Entretien avec LUCIE BORLETEAU
 
Votre récit débute comme un conte envoûtant, puis instaure une distanciation par un regard caméra. Un peu à la manière d’une séance d’hypnose.

Le scénario débute par l’adresse à la caméra d’Elody, qui est aussi un clin d’œil à la théâtralité. Le côté baroque du film me permettait de tout oser. L’idée que les femmes puissent avoir envie de mettre leur corps en représentation m’a toujours fascinée. Dans l’art en général, et le cinéma en particulier, le corps féminin a abondamment été utilisé comme élément d’envoûtement, comme produit d’appel, avec des variantes selon les époques. En tant que personnage, la strip-teaseuse est souvent présentée comme une victime, ou comme une ensorceleuse. Pour ma part, je souhaitais faire ressentir au spectateur ce que peut éprouver une jeune femme qui se lance dans le strip-tease. Car pour beaucoup - moi incluse -, cela reste un fantasme. Le film joue donc sans cesse entre conte et réalité, pour s’interroger sur notre rapport au désir, que l’on cherche à le susciter ou qu’il nous submerge.

Le film pose d’ailleurs plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Il ouvre et laisse ouverts de nombreux tiroirs

C’est précisément ce qu’on cherchait à faire. Nous avions parfaitement conscience que nous abordions un sujet délicat. à mon seul désir est une ode à la liberté. Le personnage que nous suivons franchit les différentes limites auxquelles sont confrontées les travailleuses du sexe, sans être une victime – et sans pour autant dire que c’est la panacée, bien sûr. Au-delà de cette question, je crois à un monde où les femmes peuvent prendre tous les risques sans être punies pour cela. Je suis pour un féminisme pro-choix, polyphonique, complexe. Je n’ai pas de leçon à donner. L’art est là pour rendre compte de la complexité du réel et pour nous faire nous poser des questions, nous bousculer, et, le cas échéant, nous faire changer d’avis.

Mia exprime un avis tranché sur la prostitution à Aurore : elle estime que c’est le degré ultime de la soumission pour une femme.

La question des limites qu’on repousse m’intéressait. Quand on découvre Aurore, au début du film, elle pousse la porte d’un club de strip-tease pour la première fois et n’a aucune expérience. Dans chacun de mes films, j’explore la question du travail et la manière dont les gens s’y meuvent. Au club, certaines filles, dont Mia, ont établi des limites très claires. Le film offre à voir un autre point de vue avec celui d’Aurore, et c’est le questionnement que cela engendre qui m’importe.

Le personnage de Aurore plonge littéralement, à la manière d’une héroïne de conte, dans un monde souterrain, haut en couleur, et nous embarque avec elle.

Cette image du club installé dans une cave vient du réel. Symboliquement, c’est très fort. On descend au fond d’un endroit, dans un milieu interlope. Malgré l’industrie pornographique florissante sur Internet, il existe encore des lieux comme celui que montre le film. Cela m’intéressait d’être du côté du réel plutôt que du virtuel. J’avais à cœur que le film soit aussi un divertissement, qui donne à voir des spectacles de strip-tease drôles, inventifs. Il y a là l’idée d’une sexualité joyeuse ! à mon seul désir est aussi un film sur le théâtre, sur l’artifice de la scène.

Quel a été votre travail de recherches préparatoires ?

J’ai débuté l’écriture de ce scénario en 2014, dès que j’ai fini Fidelio, l’odyssée d’Alice. Depuis, il a toujours travaillé en toile de fond dans mon esprit. J’ai fait des recherches et des rencontres pendant longtemps, puis j’ai tout oublié pour pouvoir écrire des situations, des personnages. J’ai revu aussi beaucoup de peintures du XIXe siècle.

Et des films, bien sûr.

Vous retrouvez Clara Bourreau à l’écriture du scénario. Comment avez-vous travaillé ensemble à la question des différents points de vue qu’adopte le film et à sa construction, qui fait penser à une poupée gigogne ?

Clara est ma complice de toujours. Nous avons l’habitude de travailler à partir d’anecdotes documentaires comme matière première. C’est un film que je souhaitais riche et généreux, avec beaucoup de portes d’entrée. Il aborde plusieurs sujets complexes, ce qui nécessitait une diversité de points de vue. S’est vite dessinée l’idée d’un duo, d’abord d’amies, puis d’amantes. Le côté poupée gigogne provient de l’ensemble des petites histoires que contient le récit. Après la découverte du club de strip-tease, Clara et moi avons décidé que l’histoire d’amour entre Aurore et Mia allait prendre le dessus et que nous allions en explorer chaque recoin. J’ai eu envie que ce soit une surprise pour le spectateur, car c’en est une pour les personnages elles-mêmes, qui ne voient pas arriver cet amour. Le fil rouge demeure la chronique de la vie d’une jeune femme sur quelques mois : elle découvre le strip-tease, s’y essaie par défi et curiosité, continue pour gagner de l’argent ; elle tombe amoureuse pour la première fois, puis se laisse tenter par la prostitution. Tout cela lui arrive en même temps, comme dans l’existence, où on vit souvent plusieurs choses à la fois de manière intense. C’est aussi parce qu’Aurore se sent puissante en osant ses expériences qu’elle peut accueillir cette histoire d’amour. Il m’importait beaucoup qu’il y ait un épilogue joyeux à cette histoire. Pour mieux prendre conscience de ce qu’elles ont vécu, le passage du temps est nécessaire pour les héroïnes, et donne du recul aussi bien au conte qu’à ses spectateurs.  

La puissance de la sororité est un des piliers de ce film.

Dans Fidelio, je filmais un groupe d’hommes avec une femme au milieu ; ici, un groupe de femmes est au cœur de mon dispositif. Cette sororité n’est pas un fantasme : je l’ai observée sur le terrain. Il était important pour moi de la mettre en avant. Dans Nana de Zola, par exemple, les courtisanes sont en rivalité constante, et aussi bien dans la littérature que dans l’inconscient collectif, c’est ainsi qu’on imagine souvent ces femmes. Or, j’ai observé que dans ces endroits où l’on se met potentiellement en danger, une vraie solidarité opère. Il y a aussi beaucoup d’amusement, d’encouragements entre femmes, bien plus que de concurrence entre elles, qui sont d’âges, de milieux sociaux et d’origines variés. Un peu comme dans l’équipage de Fidelio, elles sont dans le même bateau et font bloc.

La question de l’argent est omniprésente. Vous le montrez concrètement.

C’était essentiel pour moi que ces filles décident de faire du strip-tease, et pour certaines de se prostituer, pour gagner de l’argent et non parce qu’elles y sont contraintes ou uniquement par plaisir. Tant que le capitalisme n’aura pas disparu, penser qu’on peut ne pas gagner d’argent reste une utopie. J’ai été fortement marquée par King Kong Théorie de Virginie Despentes, qui en parle très bien. Montrer concrètement l’argent - et sa valeur, de manière comique à travers le personnage d’Elody, qui est radine - était donc fondamental pour moi.

Comment avez-vous écrit les personnages masculins, dont beaucoup sont très bienveillants ?

Je recherche des nuances dans l’écriture de tous les personnages, hommes ou femmes. Ici, comme dans le réel, on trouve des hommes sensibles, vulnérables, amoureux, mais aussi des clients pénibles ou des harceleurs de rue.

Puisqu’on est du point de vue des strip-teaseuses, on a toute une galerie de clients dont le plus développé est le personnage d’Afflelou. Cet habitué notoirement radin, qui finit par succomber à Aurore, est à la fois touchant parce que timide, doux, maladroit et généreux, et en même temps il n’oublie jamais, jusque dans sa dernière scène, la volonté de faire Aurore sienne et de l’acheter. On voit aussi comment il mélange une relation tarifée avec un amour sincère. Pour ce personnage, il y a eu une rencontre assez magique entre l’acteur Sipan Mouradian et le rôle tel qu’écrit dans le scénario, comme si le film n’attendait que lui pour l’interpréter.

Du côté de Mia, l’homme qui partage sa vie, Benjamin, délicatement interprété par Thimotée Robart, représente une forme d’idéal masculin, qu’elle a du mal à quitter – à la fois beau et intelligent, voire même génial dans son domaine (il est chercheur en physique des particules). Il l’aime telle qu’elle est et tient à elle.

J’ai écrit le rôle de Pablo pour Pedro Casablanc, acteur espagnol que j’avais adoré filmer en terrible méchant de la série Cannabis. J’aime ce qu’il apporte, avec son visage marqué, comme surgi du monde de la nuit, son accent et les sous-entendus permanents qui émanent de lui.

Et bien sûr, je ne pouvais imaginer meilleur interprète que Melvil Poupaud, le capitaine de Fidelio, pour se prêter au jeu de l’acteur connu qui fait rêver Mia.

La thématique du regard est centrale dans ce film.

Le personnage d’Aurore observe beaucoup. Elle n’a pas de projets, ne se soumet pas aux diktats de la société. Elle est curieuse des plaisirs de la vie. Elle vit dans le présent et va aider Mia, qui, elle, est ambitieuse, à vivre davantage au présent comme elle. C’est sa force et c’est ce qui fait sa liberté. Mais Aurore est coincée au niveau de l’amour et Mia va l’entraîner à vivre une aventure sentimentale. Ce qui est beau, c’est cet échange entre elles, qui fait bouger leurs lignes à toutes les deux. Le regard d’Aurore sur le monde impose souvent une triangulation dans la façon de filmer qui infuse tout le film. Le regard est franc, mais le film est rarement frontal.

Dans le club, il y a le regard des filles sur scène et celui des clients dans la salle

Absolument, c’est la question centrale, que nous n’avons cessé de nous poser à chaque étape de fabrication du film, et particulièrement dans les choix de découpage… On descend souvent dans la petite salle de spectacle, mais aucun show n’est filmé de la même manière ou du même point de vue. De la même façon, dans l’espace confiné de la loge, nous avions à cœur de renouveler sans cesse la manière de filmer, pas seulement pour varier les plaisirs, mais aussi parce que notre regard évolue sur les silhouettes qui deviennent peu à peu des personnages aux préoccupations de plus en plus précises. On ne voit pas seulement les corps, on filme des gens.

Corollaire de la question du regard, le motif du miroir traverse le film.

Cela vient du réel, il y a des miroirs partout : dans les loges, sur la scène... Du point de vue symbolique, c’était important pour moi qu’il y en ait dans l’hôtel où Aurore se prostitue, car cela induisait l’idée du consentement avec elle-même : elle se voit et a conscience de ce qu’elle fait. C’est aussi lié à la thématique de l’image de soi. De nombreuses strip-teaseuses sont très timides hors de la scène, et trouvent dans ce lieu la confiance de se regarder dans une glace, d’aimer leur corps. Et cela permet d’incarner à l’image l’idée du double, qui commence pour les strip-teaseuses avec le choix de leur pseudonyme.

Quelque chose de sensoriel et sensuel se dégage de votre mise en scène.

Je cherchais à restituer la puissance du corps des femmes, la puissance de la sensation, de l’intime. Le film est rythmé, et je voulais qu’il recèle des surprises. Cela a guidé notre travail avec Clémence Diard, la monteuse. Les aspects les plus explicites sur le plan sexuel se trouvent volontairement au début. Je tenais à ce que le film n’expose pas la vie d’Aurore, mais la plonge d’emblée dans ce club. Son histoire d’amour avec Mia se déroule aussi dans le désordre : elles commencent par faire semblant de coucher ensemble sur scène pour le faire vraiment par la suite, puis par tomber amoureuses. Elles font tout à l’envers ! La sensation est ce qui m’intéresse le plus au cinéma. C’est déjà quelque chose que je cherchais à susciter dans Fidelio, avec l’idée de la traversée, et Chanson douce sur un versant plus sombre, comme un cauchemar de parents.

La gaieté est omniprésente dans votre image !

Je tenais à cette joie, car le strip-tease est un univers qui a souvent été montré au cinéma de façon glauque. Il ne s’agissait pas d’être naïve pour autant : je montre bien que des moments trash ont lieu parfois dans les salons privés, comme au début du film, ou à l’extérieur, comme dans la scène de l’enterrement de vie de garçon. Je tenais à poser cet aspect dans la première partie, mais je voulais que l’amusement domine. Car c’est ce que j’ai observé dans le club qui m’a inspiré ce décor. J’ai rencontré des femmes qui expérimentaient toutes sortes de choses sur scène avec de la joie. Beaucoup aiment faire les pitres, osent, repoussent les limites de la bienséance et cela fait rire les spectateurs. Par ailleurs, nous avons tourné après les confinements successifs dans l’idée que rien ne remplace le lien à l’autre. Dans ces clubs, il y a aussi une clientèle d’habitués, de gens seuls qui viennent chercher du réconfort.

Dans la séquence où Mia raconte l’abus dont elle a été la victime, vous dépouillez votre image de tout artifice et mettez la parole au centre.

Je tenais à ce fond noir et à ce découpage classique pour cette scène. Je suis tellement admirative de cette idée, au cœur du mouvement MeToo, de la parole exprimée et entendue. C’est un vrai changement de paradigme, même si les problèmes perdurent. Je n’aurais sans doute pas filmé cette séquence comme ça en 2014, quand j’ai commencé à écrire mon scénario. MeToo a changé la donne. Et la parole, dans cette séquence, devient littéralement le cœur de la scène avec ce plan déréalisé.

Comment vous est venue l’idée des visions d’Aurore, qui déshabille les passants du regard à la manière d’une magicienne ?

C’est venu tôt au scénario, comme une manière de faire entrevoir ce que représente la sensation de mise à nu lorsqu’elle perdure en dehors du club. Dès le premier soir, Aurore a l’impression de voir tout le monde nu en sortant de scène. C’est quelque chose qui m’a été raconté par les strip-teaseuses que j’ai rencontrées. Et puis je voulais sortir la nudité du club, et de toute sexualisation, montrer des corps d’hommes et de femmes de tous âges, qui ne soient pas que ceux des danseuses. Dans la nudité, nous sommes tous égaux. Cela apportait aussi de la poésie au film, car cela ressemble à un tour de prestidigitation. C’est une petite folie, un trucage à la Méliès ! Et une manière de rendre hommage à la magie du cinéma.  

Comment avez-vous composé votre casting féminin ?

J’ai pensé à Zita Hanrot très tôt, et j’ai même écrit le rôle de Mia pour elle. Je lui trouve une beauté fatale d’actrice hollywoodienne et un grand charisme, qui apportaient beaucoup au personnage de cette femme qui rêve de devenir comédienne. Sa sensualité m’évoque celle de Scarlett Johansson, elle a cette même puissance immédiate. Mia se ment à elle-même, elle est prise dans des conflits intérieurs, elle est ambitieuse, aime séduire, fait le clown sur scène tout en préparant le Conservatoire, pour lequel elle travaille Racine et Tchekhov : il y avait tellement de niveaux de jeu pour Mia qu’il me fallait une excellente actrice prête à aller loin dans le travail et la précision. Zita est capable de cela.

Pour Aurore, j’ai fait un casting avec quelques actrices, parmi lesquelles Louise Chevillotte, que j’avais découverte dans les films de Philippe Garrel et Nadav Lapid. C’est une formidable actrice dotée d’une grande finesse de jeu.

Elle a lu le scénario très vite et a réagi spontanément et positivement.  

J’avais bien conscience que ce film pouvait faire peur, et j’ai senti que Louise et Zita avaient l’audace et le courage d’y plonger ensemble. Elles formaient le meilleur couple possible à mes yeux, un duo d’une véritable évidence. C’est une affaire de corps, de voix, d’énergies complémentaires. Elles étaient sur un pied d’égalité tout en ayant l’air de ne s’être jamais rencontrées et de tout devoir au côté fortuit du club. Pour moi ça rend ce couple moderne et intéressant. Leur relation ne se joue pas sur la question du pouvoir.

Pour Elody, j’ai confié le rôle à Laure Giappiconi, qui a collaboré au scénario et joue dans chacun de mes films.

Pour le reste du casting, j’ai travaillé avec Colia Vranici. Elle a rencontré toutes sortes de personnes, y compris de vraies strip-teaseuses, dont certaines apparaissent dans le film. S’est, pas à pas, formée une troupe avec des actrices de tous horizons.

Comment avez-vous travaillé avec votre groupe d’actrices ?

Nous avons monté une résidence de strip toutes ensemble, sans caméra, sans appareil photo. Colia et moi nous y sommes essayées aussi. Cela nous a toutes nourries et permis d’explorer nos possibilités et de poser les limites de chacune. Je suis extrêmement heureuse d’avoir pu ensuite mobiliser les comédiennes pour qu’elles écrivent elles-mêmes leurs numéros, comme le font les strip-teaseuses du club qui nous a inspirées.

Comment avez-vous choisi les plus petits rôles ?

Nous avons été très attentives à choisir des acteurs et actrices les plus respectueux et respectueuses qui soient ! La formation sur les violences sexuelles et sexistes du CNC que ma productrice a suivie s’est révélée une excellente boîte à outils pour notre tournage. Nous avions rédigé une lettre à l’attention de toute l’équipe, y compris les comédiens et comédiennes, sur cette question avant le début du tournage, et Colia est devenue notre référente harcèlement sur le plateau. Pour que tout le monde soit en confiance, elle avait, lors du casting figuration, rencontré avec son assistante Naomi Grand chaque figurant individuellement pour les scènes de club pour éviter tout potentiel problème – ce qu’on ne fait à ma connaissance jamais pour les figurants.

Comment avez-vous composé cet univers baroque à l’image, aux décors et costumes, avec vos collaborateurs ?

À l’image, j'ai eu la joie de retrouver Alexis Kavyrchine, après Chanson douce. Par le choix du scope anamorphique et un savant jeu sur les couleurs et lumières, nous avons délibérément entraîné le film sur la voie du romanesque.

La collaboration était particulièrement fluide entre nous, et j’ai adoré cadrer certaines prises avant de lui repasser la caméra :  cela créait un dialogue entre nous parfois plus efficace que dans les mots ! Ces choix de direction artistique se sont aussi affirmés en travaillant en étroite collaboration avec les décors et les costumes.

J’ai fait la connaissance d’Alexia Crisp-Jones, qui était cheffe-costumière sur Tournée de Mathieu Amalric, notamment. Alexia a créé des costumes qui mêlent le bijou à la lingerie et qui magnifient le corps des femmes. Ses tenues sont à la fois crédibles et oniriques, et subliment des accessoires parfois relégués au champ de la vulgarité. Elle a travaillé main dans la main avec le chef décorateur Aurélien Maillé, qui est parvenu à mélanger le kitsch et le charme avec brio. Notre premier rendez-vous de travail avait eu lieu dans une exposition sur la peinture érotique du XVIIIe siècle à la réouverture des musées après le deuxième confinement, et nous avons toujours essayé de garder de l’ambition dans la frivolité, jusque dans les moindres détails.

La dimension romanesque a continué de guider notre travail au montage : nous avons privilégié l’emballement, le rythme, les ruptures.

Comment avez-vous travaillé à la bande-son du film ?

Avant le tournage, j’ai cherché, avec le superviseur musical Frédéric Junqua, des musiques préexistantes d’horizons divers, car beaucoup de numéros étaient musicaux. J’ai toujours aimé mélanger différents styles. Nous avons commencé à travailler les numéros sur ces titres dès la résidence de strip.

J’ai aussi travaillé avec le compositeur Pierre Desprats, qui a réussi à imaginer des partitions très créatives pour accompagner les visions d’Aurore, l’histoire d’amour et les sensations des personnages, comme il l’avait fait pour Chanson douce.

Surtout, j’ai eu la joie immense de collaborer avec la chanteuse Rebeka Warrior (Sexy sushi, Mansfield Tya, Kompromat…), qui a composé pour le film deux chansons : l’une dans le plus pur style de Sexy sushi pour un numéro du samedi soir, et l’autre qu’on entend à la fin et qui scande le titre comme un refrain, ballade romantique digne d’une comédie musicale.

Votre titre, À mon seul désir, fait écho à celui de la sixième toile, auréolée de mystère, de la tapisserie moyenâgeuse La Dame à la licorne. L’aviez-vous en tête en écrivant cette histoire ?

Cette tapisserie est une de ces œuvres qu’on croise dans sa jeunesse et qui vous poursuivent. C’est un choix de ma part de vouloir rattacher le club, nommé "à mon seul désir", à l’histoire de l’art et celle de la représentation du corps des femmes. Cette tapisserie repose sur les cinq sens et un mystérieux sixième sens : est-ce le désir, l’intuition féminine ? Elle met en scène, comme dans mon histoire, un couple, un duo de femmes, dont on sent la puissance. La licorne de la tapisserie figure sur un mur dans la rue, à l’entrée du club. C’est une petite touche, une clé discrète. La licorne aujourd’hui est aussi un symbole de liberté, d’utopie, un symbole queer qui va bien avec le film.

Comment êtes-vous ressortie de cette expérience ?

Je suis dans la joie d’avoir pu faire un film non formaté. J’espère qu’il saura divertir, emporter et faire bouger les lignes dans l’esprit de ses spectateurs. Je vais très souvent au cinéma, parce que ça me sauve la vie. J’attends d’un film, y compris des miens, qu’il soit complexe, inattendu et bouleversant… comme peut l’être un numéro de strip-tease !

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-CLAIRE CIEUTAT
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Entretien avec ZITA HANROT

Quelle fut votre réaction à la lecture du scénario d’À mon seul désir ?

Jamais un scénario ne m’a intriguée à ce point. J’ai mis du temps à entrer dans cette histoire, car j’avais le sentiment que s’y nichait quelque chose de caché et de mystérieux. Plus je la reprenais, plus j’y plongeais profondément et plus j’étais captivée. Il m’a fallu l’effeuiller, tourner autour de son secret. Jusqu’à ce que tout m’apparaisse fluide et organique. Ce corps-à-corps avec ce texte fut une étape passionnante.

J’ai aussi mis du temps à apprécier Mia. J’ai commencé par la juger égoïste. Étant moi-même comédienne, j’étais impitoyable avec son côté actrice dépendante du regard des autres. Cet aspect du personnage me travaillait. Je suis donc allée explorer cette zone avec Lucie : que signifie pour une actrice susciter le désir et comment l’assumer sont des questions autour desquelles nous avons tourné. Le rapport à la nudité aussi n’était pas évident pour moi. Le fait que Mia s’offre au regard des autres m’interrogeait. Je me suis demandé si j’en étais capable. À force de penser tous ces questionnements, il m’a semblé évident qu’il me fallait plonger dans ce projet.

Connaissiez-vous le travail de Lucie Borleteau ?

Oui, j’avais adoré Fidelio, l’odyssée d’Alice ! La manière dont Lucie parlait du plaisir, de cette femme tiraillée entre deux amours. J’ai aimé le jeu d’Ariane Labed, la façon qu’a Lucie de filmer le travail, les lumières, les costumes, la musique… Je trouve ce film saisissant. J’avais donc très envie de travailler avec elle. Nous nous sommes rencontrées sur le casting de Chanson douce. Ça ne s’est pas fait entre nous à ce moment-là, mais elle m’a dit qu’elle pensait à moi pour un autre film. Et ce fut celui-là.

Comment êtes-vous passée outre vos craintes relatives à la nudité pour jouer Mia ?

Nous en avons beaucoup discuté avec Lucie. Nous avons beaucoup parlé des axes de la caméra, de ce que je souhaitais montrer ou non. Lucie a su me rassurer, m’accompagner dans ce déshabillage. Et quand je vois le film, je n’ai pas l’impression d’être nue, hormis dans la scène de la clairière. Lucie aborde la nudité avec beaucoup de joie. Elle a une légèreté, une générosité, une gourmandise qui mettent en confiance. Parce que c’est elle, j’ai pu apprivoiser mes peurs et j’ai eu l’envie de la suivre. Elle laisse aussi la place à notre imaginaire pour venir nourrir l’histoire et ça, c’est très plaisant.
 
Justement, comment avez-vous nourri votre imaginaire pour ce film ?

Je faisais feu de tout bois ! Grâce à la mise en scène de Lucie, on descend peu à peu dans l’histoire en profondeur. Chaque scène est comme une pièce qu’on explore dans les moindres recoins. Lucie nous avait envoyé une liste de films à regarder, autour du désir, de l’amour, de la danse, de la nudité, parmi lesquels Esther Kahn d’Arnaud Desplechin et Showgirls de Paul Verhoeven, qui m’ont beaucoup marquée. J’aime aussi beaucoup les livres de la philosophe Anne Dufourmantelle, qui me sont très précieux pour mon travail d’actrice, car ils sont mystérieux et ne livrent pas leur sens tout de suite. Je voyais un lien entre son écriture et ce film. Ils ont été pour moi une source d’inspiration, que je me suis fait une joie de partager avec Lucie.

Nous avons également fait beaucoup de lectures à plusieurs et nous avons fait un stage de strip-tease avec des comédiennes et des danseuses. Nous nous sommes jetées à l’eau ! Des strip-teaseuses nous ont montré comment nous y prendre. Nous avons fait des impros, des duos. Je suis assez pudique, donc je ne me suis pas déshabillée tout de suite. Puis, grâce au regard bienveillant de cette troupe de femmes, j’ai pris confiance progressivement et me suis essayée à l’exercice du strip.

On retrouve cet esprit de sororité dans les scènes où les femmes sont réunies.  

Je trouve ces scènes entre femmes dans les loges très joyeuses. On y sent beaucoup d’énergie et de vitalité, et cela est aussi dû au travail que nous avons fait ensemble lors de ce stage. Nous nous sommes apprivoisées. Nous étions dans une grande confiance et bienveillance les unes envers les autres. Toutes les femmes sont différentes dans ce film et je trouve ce groupe très moderne.

Avez-vous été visiter des clubs de strip-tease ?

Oui, dans le sixième arrondissement de Paris. J’ai découvert un univers très joyeux, où on ne boit pas d’alcool et où les femmes ne sont jamais contraintes. C’était formidable, car j’ai pu ainsi tordre le cou à l’idée que je m’en faisais. Les numéros de strip y sont très sexy ; quand ils sont finis, les danseuses repartent comme si de rien n’était. Dans le club que nous avons visité, il n’y a rien de glauque. Au contraire, j’y ai vu quelque chose de ludique. C’était une clé pour comprendre le film et pour me tranquilliser.

Dans quelle mesure les costumes d’Alexia Crisp-Jones vous ont-ils aidée à composer le personnage de Mia ?

J’ai adoré les essayages de costumes. Nous avons essayé plusieurs tenues très belles, puis nous nous sommes dit que Mia était une jeune femme qui désirait devenir actrice, mais qui n’avait pas d’occasion de jouer en dehors du club. Et l’idée nous est venue d’imaginer que Mia porterait des tenues inspirées de personnages de fiction qu’elle aime. Ce sont de petites touches discrètes, que personne ne peut vraiment identifier, mais qui, moi, me permettaient de jouer. Mia joue dans sa vie, elle a de l’énergie, elle virevolte. C’était très amusant à travailler sur le plan vestimentaire, car c’est comme si elle portait des costumes au quotidien et promenait son désir de fiction partout où elle va.

Comment avez-vous travaillé vos choréographies ?

Nous avons répété certains numéros, que je soumettais au regard des strip-teaseuses qui jouaient dans le film. Nous étions assez libres et nous nous coachions les unes les autres. J’ai travaillé aussi mon numéro de pole dans le métro, après avoir pris des cours de pole dance avec une prof. J’ai fait beaucoup de danse depuis que je suis enfant et j’adore danser dans les films. Plus il y en a, plus je m’amuse !

Vous avez été formée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. C’est le rêve de Mia. Aviez-vous de l’empathie pour elle, vous qui avez vécu l’expérience intense du concours ?

Je crois que la scène de l’audition a été la plus difficile à tourner pour moi. En plus, nous étions dans la salle Louis Jouvet, qui est la dernière salle dans laquelle j’ai joué mon spectacle de sortie quand j’étais élève au Conservatoire, et celle dans laquelle j’avais passé mon deuxième tour avec la sensation d’avoir échoué. Je me sentais très fébrile, très émue, je pleurais entre les prises, mais je savais que c’était bien aussi pour la scène. Dans cette scène, Mia est peu maquillée et porte une modeste robe bleue. Je ne voulais pas que ce soit la même Mia qu’au club. C’était donc à la fois troublant et génial de rejouer cette situation.

Quelle directrice d’actrices et d’acteurs est Lucie Borleteau ?

Lucie écoute beaucoup ses interprètes. Elle nous aime et on le sent quand elle nous filme. Elle est vraiment avec nous ; elle est confiante, exigeante, nous valorise et prend un immense plaisir à mettre en scène. Elle est aussi extrêmement cinéphile. Elle sait créer les conditions pour nous permettre de nous laisser aller. Je trouve que le film lui ressemble beaucoup : il y a, à son image, énormément de joie, d’humour, de fantaisie et de vitalité dans à mon seul désir !

Comment avez-vous travaillé avec Louise Chevillotte ?

C’était très intéressant, car nous sommes assez différentes. Nous nous sommes apprivoisées. Je trouve que nous nous complétons bien. Nous avons besoin toutes les deux d’analyser les choses, de les comprendre, mais sur le plateau, nous cherchons différemment. J’ai l’impression que je suis plus impulsive que Louise, qui décortique, puis se jette physiquement dans les scènes. Comme elle a été habituée à la méthode de travail de Philippe Garrel, elle aime faire peu de prises, contrairement à moi, qui ai besoin de les multiplier. Mais j’avais toujours l’impression que nous nous rejoignions à un moment et que nous nous accordions l’une l’autre.

Le stage préparatoire nous a beaucoup aidées à nous abandonner. C’est un film qui nous a demandé du courage. Il contient plusieurs scènes d’intimité et ce n’est pas rien d’accepter de se laisser toucher.

Ce film vous a-t-il rendue plus libre en tant qu’actrice ?

J’ai adoré jouer Mia. C’est un des personnages que j’ai préféré interpréter. Il m’a ouvert l’esprit. Il est très loin de moi par plusieurs aspects. J’admire par exemple sa faculté à prendre la parole en public. Mia a 26 ans et j’en ai 32. Elle a l’âge de mes petites cousines, qui ont plus d’ouverture d’esprit que moi. Mia, par exemple, est sincère dans ses deux amours, et au début, j’avais du mal à la comprendre. De ce point de vue, je trouve ce film jeune et moderne.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-CLAIRE CIEUTAT
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Entretien avec LOUISE CHEVILLOTTE

Qu’a provoqué en vous la lecture du scénario d’À mon seul désir ?

J’ai été bouleversée par cette histoire, ses personnages, et j’ai instantanément eu envie de les défendre. Il m’a semblé que c’était une magnifique ode aux femmes, un film profondément féministe. Ce scénario décrivait des féminités complexes et joyeuses, qui m’ont beaucoup touchée. On en a tellement besoin !
 
Comment avez-vous appréhendé le monde du strip-tease ?

Il m’était totalement étranger. J’étais très intimidée. J’avais peur du regard masculin, de l’idée que les femmes puissent être au service des hommes, qu’elles soient des femmes-objets ou des victimes. Tous ces clichés m’habitaient. Puis, j’ai découvert, en y allant avec Lucie, des cabarets érotiques et des clubs de strip-tease, et j’ai été très émue. Je pensais que les gens qui regardaient avaient le pouvoir, or c’est tout l’inverse ! Les femmes que j’ai vues sur scène étaient très conscientes de ce qu’elles faisaient. Ce sont des reines : elles sont parvenues à débloquer ce rapport au désir qui nous paralysent toutes et tous. Grâce à elles, j’ai compris que le pouvoir était du côté de celle qui se dénude. La personne qui regarde est renvoyée à son propre désir et se retrouve dénudée - c’est ce que raconte notamment le livre passionnant Et d’abord le regard, de Laure Giappiconi, qui joue Elody dans le film. Cela a à voir aussi avec l’interprétation et le métier d’acteur. Au théâtre, nous jouons avec le quatrième mur, à faire comme si nous n’étions pas regardés. Au cinéma, nous faisons comme si la caméra ne nous regardait pas. Nous passons notre vie à faire comme si nous étions en dehors du regard, alors qu’on agit pour lui. Dans le strip-tease, on assume qu’on est vu et qu’on regarde. Comprendre cette clé m’a beaucoup aidée pour la suite. J’ai perçu dans le strip-tease quelque chose de subversif, qui donne du pouvoir à celle qui s’y emploie, et qui est aussi un acte esthétique, artistique et beau. Quand on invente, on est libre…
 
Connaissiez-vous le travail de Lucie Borleteau ?

J’avais beaucoup aimé Fidelio, l’odyssée d’Alice, ainsi que ses courtsmétrages. La fantaisie de La Grève des ventres, par exemple, m’avait séduite et me rappelle celle d’à mon seul désir. La joie, chez elle, est une vraie proposition de cinéma et non quelque chose de mièvre. J’aime la puissance vitale de ses films.
 
Avez-vous fait des recherches pour composer le rôle d’Aurore ?

Lucie m’a demandé de regarder un certain nombre de films pour explorer différentes représentations du monde du cabaret et nous faire un imaginaire commun. Ce qui est particulier dans à mon seul désir, c’est qu’il ne s’agit pas du strip-tease à l’américaine ni du grand cabaret façon Moulin Rouge, mais d’un cabaret érotique très précis, sans grands moyens, avec beaucoup d’improvisations et réalisé par toutes sortes de femmes, qui peuvent être comptables le reste du temps. Ces femmes jouent avec leur corps, avec les codes. Elles utilisent de la récupération pour leurs costumes et accessoires, qui sont sublimés par les éclairages. Nous nous sommes inspirées d’un club qui existe réellement et où on sent que les femmes s’amusent. Ce côté bricolé et festif m’a rappelé mes années d’études théâtrales. Lucie nous a embarquées dans ce processus de création. Nous avons fait une résidence de plusieurs jours, quelques mois avant le tournage. J’ai trouvé ça génial ! Étaient rassemblées des strip-teaseuses, des danseuses et les actrices du film. Nous devions préparer un strip. J’étais hypnotisée par la beauté de ce que faisaient les strip-teaseuses qui nous coachaient. Elles avaient la grâce, jouaient avec leur féminité, la revendiquaient. En face, nous nous sentions maladroites, mais elles nous ont guidées avec une sororité et une bienveillance qui a rendu ce moment formidable. Jouer avec nos corps de cette façon était très festif. J’ai éprouvé un vrai sentiment d’émancipation. J’ai questionné ces femmes, que j’ai trouvées très engagées. Elles savent parfaitement ce qu’elles font, jouent avec les codes du patriarcat, vont chercher l’argent là où il est et se sentent bien plus libres que nombre de gens qui n’aiment pas leur métier.

J’ai beaucoup lu et cherché pour être au clair avec la question de la morale et avec le regard qu’on portait sur les strip-teaseuses dans ce film. Nous y racontons l’histoire de femmes qui ont choisi de faire du strip-tease pour gagner de l’argent, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas des femmes qui le subissent et en souffrent.
 
Votre personnage va jusqu’à se prostituer, ce qui la distingue de Mia quant aux limites que toutes deux se fixent. Comment avez-vous abordé son cheminement ?

Aurore est curieuse et va loin. C’est un personnage qui évolue. Ce qui m’intéresse chez elle, c’est que, comme Lucie, elle n’est jamais dans le jugement. Elle n’a aucun a priori moral. Ce qui fait qu’elle entre dans un club de strip-tease avec l’appréhension de ne pas être capable de s’y essayer, mais pas avec un avis tranché sur ce qui se fait ou non. C’est la même chose pour son histoire d’amour. Le fait que Mia vive avec un homme ne lui pose aucun problème. Elle vit sa vie comme une aventure, dans un certain lâcher-prise, en accueillant ce qui se présente à elle. Elle aime le romanesque, elle est dans l’amour vrai : quand Mia lui brise le cœur, ça ne l’empêche pas de lui faire le plus beau des cadeaux et de continuer à l’aimer. J’ai l’impression aussi qu’elle prend les filles du cabaret pour ce qu’elles sont. Elle trouve un endroit où elle se sent plus respectée pour ce qu’elle fait que dans son job de caissière. Dans ce club, Aurore se sent libre. Et avec Elody, quand elles se prostituent, elles ont toutes les deux un système de protection, qui leur permet de respecter leurs limites. Aurore se dit qu’elle vend non pas son corps, mais un service, ce que m’ont dit plusieurs travailleuses du sexe que j’ai rencontrées pour préparer ce rôle. Je me suis beaucoup documentée. J’ai écouté des podcasts sur la prostitution et sur les féministes qui réclament son abolition. Et j’ai compris qu’Aurore était une anarchiste, qui se plaçait en dehors de toute morale. J’avais très à cœur qu’on ait de l’empathie pour elle, d’autant plus que la prostitution est illégale en France et qu’Aurore flirte avec les zones frontières. Le film joue sur ce hiatus, entre la joie d’un côté et l’interdit de l’autre.
 
C’est aussi une femme qui découvre l’amour.

Elle le découvre à l’endroit où elle s’épanouit au sens large. Quelque chose s’ouvre en elle et devient solaire. Elle devient désirante. J’aime beaucoup la scène où elle embrasse Mia après s’être prostituée. Lucie me suggérait d’imaginer une ampoule s’allumer en elle à ce moment-là, du fait qu’elle se sentait vraiment libre. Mia et Aurore sont toutes deux libres, mais très différemment. Je me suis mise à un endroit de résonance pour jouer Aurore, qui est fascinée par Mia : j’admirais Zita, qui est une partenaire de rêve.
 
Comment avez-vous travaillé, dansé ce tango à deux ?

Ça s’est fait simplement. Nos personnages et nous-mêmes sommes très différentes. Nous nous complétions. Avec Zita, nous sommes arrivées, je crois, à ce que chacune se sente exister. Ce n’est pas si fréquent dans ce métier.
 
Et avec les autres comédiennes ?

Il y avait un vrai esprit de troupe. À tel point que, lorsque nous étions rassemblées, tout le monde oubliait que le film racontait aussi une histoire d’amour entre Aurore et Mia. Nous étions toutes différentes, par nos parcours, nos métiers, nos physionomies. Et pourtant, chacune trouvait sa place.
 
Comment avez-vous travaillé la manière de se mouvoir, la respiration, et la voix de votre personnage ?

J’ai essayé d’être honnête avec ce qui était à jouer. Le courage qu’il faut à Aurore pour arriver à se dénuder est lié au mien, et je me suis dit qu’il me fallait avoir très envie de jouer avec mon corps, avec ma sensualité, qu’il me fallait m’émanciper, comme elle. J’ai donc plongé ! Ce qui m’a facilité la tâche, c’est qu’Aurore découvre un univers. J’étais donc en phase avec elle. Quand elle doit striper pour la première fois, ce sont mes battements de cœur qu’on entend, car je suis aussi fébrile qu’elle ! Elle découvre et évolue, comme moi avec elle. Ce film m’a libérée. La joie avec laquelle Lucie nous filmait m’a beaucoup aidée. J’ai rarement ressenti l’impression d’être à ce point regardée comme un sujet. La question du désir dans le film est au service d’une émancipation. J’ai aussi trouvé le mouvement d’Aurore grâce aux costumes du film. Lorsque j’ai fait les premiers essayages – des pantalons taille basse, de vieilles Converse –, j’étais déstabilisée. Puis j’ai compris qu’Aurore, en effet, n’était pas dans un rapport à la féminité revendiqué. Elle prend ce qui lui tombe sous la main. Elle n’a pas d’argent, elle est économe. Cette séance d’essayage a été une mine d’or pour la trouver. Ses vêtements étaient si loin des miens que je me sentais dans un autre corps. Pareil pour sa coiffure, qu’il fallait simplifier. Ses sous-vêtements, c’était tout un monde à découvrir grâce à la formidable costumière Alexia Crisp-Jones. D’ailleurs, il y avait beaucoup de femmes sur ce plateau, à des postes clés. Tout le monde était très au clair sur ce qu’on faisait. Et on a vite senti que les lumières allaient être une sorte de vêtement aussi.

Quant à sa voix, je me suis dit qu’Aurore parlait moins fort que moi. Elle est plus dans l’écoute qu’elle ne prend la parole. Je devais trouver une certaine douceur dans la voix et la faire évoluer vers plus d’assurance.
 
Vous êtes-vous raconté son histoire avant qu’elle arrive au club ?

Je me suis imaginé qu’elle venait d’un milieu modeste, provincial, et que ses parents étaient un peu âgés. Je voulais comprendre d’où elle venait, j’ai donc lu des livres comme Retour à Reims de Didier Eribon pour étudier la question du transfuge de classe. Aurore fait de hautes études tout en étant capable de naviguer dans toutes les couches de la société.
 
Comment Lucie Borleteau vous a-t-elle dirigée sur le plateau ?

Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi heureux sur un tournage. Travailler avec elle est festif. Son énergie est enivrante. Chaque week-end, je préparais la semaine à venir. Je lui envoyais des questions et nous échangions, sachant que nous avions beaucoup discuté du personnage lors de la préparation. Sur le plateau, elle était très généreuse, précise et concise. Nous chorégraphions nos mouvements quand la caméra arrivait et nous tournions rapidement après. Elle nous proposait des variantes dans les scènes pour avoir du choix au montage.  
 
Ce film a-t-il fait bouger vos lignes intérieures ?

C’est la première fois que je joue un personnage qui vit une histoire d’amour avec une femme, et j’ai aimé ça. Parce que ce film a pour sujet la vie, en fait. C’est l’histoire initiatique d’une femme qui va traverser plein d’expériences. Aurore n’a pas de projets, elle suit le courant sans inquiétude, tandis que Mia, elle, se tourmente plus facilement. Aurore me bouleverse et m’a aidée à relativiser, moi qui suis stakhanoviste et passionnée. Elle m’a détendue et permis de poser un regard complexe et sans a priori sur plein de choses. Je me sens à la fois plus puissante et plus apaisée depuis que je l’ai interprétée.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-CLAIRE CIEUTAT

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