Sunday, September 21, 2014

Le meraviglie / The Wonders


Alice Rohrwacher: Le meraviglie / The Wonders (IT/DE/CH 2014).

IT/DE/CH 2014. P: Carlo Cresto-Dina, Karl Baumgartner, Tiziana Soudani, Michael Weber. D+SC: Alice Rohrwacher. DP: Hélène Louvart. PD: Emita Frigato. M: Piero Crucitti. S: Christophe Giovannoni. ED: Marco Spoletini. C: Alexandra LUNGU - Gelsomina, Sam LOUVYCK - Gelsomina's father, Alba ROHRWACHER - Angelica, Sabine TIMOTEO - Coco, Luis HUILCA - Martin, Monica BELLUCCI - Milly Catena. Languages: Italian, French, German. 111 min.
    A DCP with English subtitles from Match Factory.
    Screener dvd viewed at home.
    First Helsinki International Film Festival (HIFF) screening at Kinopalatsi, Helsinki, 21 Sep 2014.

The HIFF Catalogue: Deborah Young, The Hollywood Reporter: "Wise beyond its years, like the teenage protag Gelsomina, The Wonders (Le meraviglie) is a wistful but no-tears swan song recounting the disappearance of traditional rural lifestyle in Italy. It’s also the story of an inexperienced country girl looking to bust out of her family’s limited horizons as bee-keepers and honey-makers (…)."

"The tone hovers mysteriously between dream and reality and Rohrwacher pins the film on stark and striking images, like the haunting one of bees crawling over the expressionless face of a young woman."

"[I]n a dilapidated old stone farmhouse, live Gelsomina aka Gelsi (Maria Alexandra Lungu) with her parents, her aunt and three younger sisters. Her stern German father Wolfgang (Sam Louwyck) is determined to keep the modern world far away from his family, but rather inevitably his little band of outsiders ends up in an anachronistic clash with the encroaching »real» world."

"(…) Cinematographer Helene Louvart boldly opts for a realistic look that doesn’t hide the ugliness of peasant life in all its poverty, cloudy skies and mud."
Deborah Young, The Hollywood Reporter (The HIFF Catalogue)

Cannes 2014: "Nothing will be the same at the end of this summer for Gelsomina and her three younger sisters. She is the designated heir of the strange, secluded kingdom that her father constructed around them to protect his family from “the end of the world”. An extraordinary summer, when the strict rules that hold the family together, are beginning to break: in part due to the arrival of Martin, a German boy on a youth rehabilitation program, and in part the local community’s participation in a TV competition for big prizes “Village Wonders”, presented by the mysterious Milly Catena." Cannes 2014

AA: Like Alice Rohrwacher's wonderful debut feature film Corpo celeste, Le meraviglie starts with a light in the darkness.

In Corpo celeste, the Bildungsroman was related to confirmation, to the process of spiritual education into adult womanhood provided by the Catholic Church.

In Le meraviglie the frame of reference is the family bee farm which hovers on the brink of catastrophe but all problems are solved in the last instance - almost miraculously, maybe.

At the same time, there is the loud commercial television programme about Village Wonders being produced. Ancient rites from Etruscan times are evoked.

Tradition and modernity clash mercilessly. Miraculously, again, a sense of wonder emerges in many instances.

There are those for whom there are no wonders. And there are those for whom there are wonders everywhere. Alice Rohrwacher belongs to the latter category.

Rohrwacher has an original insight in imagery. She is a poet who is spellbound both by things extraordinary (a camel in the yard) and ordinary (toil at the bee farm). There are aspects of the Platonic cave in the final shots. And maybe allusions to cave paintings beyond history.

We are a mystery to ourselves, and share a common destiny with bees, who are a barometer of the state of the earth. Like Markus Imhoof (More Than Honey, 2012), Alice Rohrwacher comes from a beekeeping family. There is a special tender approach in the documentary scenes of the process of the modernization of beekeeping.

The young actors are compelling and believable, and Rohrwacher elicits an untypical performance from Monica Bellucci, now for once liberated from the look of us ogling males.

BEYOND THE JUMP BREAK: FROM THE PRESSBOOK:
PROPOS DE LA RÉALISATRICE, ALICE ROHRWACHER

DES REFERENCES AUTOBIOGRAPHIQUES
Le film se passe dans ma région natale, dans la campagne située entre l’Ombrie, le Latium et la Toscane. Ma famille est italo-allemande, il y en a d’ailleurs beaucoup dans cette région. Et les abeilles sont les insectes que je connais le mieux. Mais à part ces éléments, l’histoire et les personnages ne sont pas autobiographiques, ils me sont seulement familiers. Je ne pourrais pas écrire quelque chose de complètement autobiographique, je m’ennuierais... Lorsqu’on écrit un scénario, il faut trouver des personnages qui peuvent vivre des années et nourrir notre imagination. Il vaut donc mieux qu’ils me soient étrangers, afin que je ne me lasse jamais d’eux. Je préfère avoir le sentiment qu’ils sont constamment réinventés, c’est plus stimulant.

LA PREMIÈRE IMPULSION
Lorsqu’on me demande d’où je viens, j’aimerais pouvoir répondre par une ville, comme Rome ou Milan, mais je dois situer ma région entre trois autres (l’Ombrie, le Latium et la Toscane), décrire une campagne où les identités régionales sont toutes détruites. Les gens connaissent parfois cet endroit, mais ils en gardent une impression moyenâgeuse! C’est ce qui m’a poussée à travailler sur LES MERVEILLES : raconter les difficultés rencontrées par la campagne ou ces petites villes qui se sont déguisées en endroits «purs», hors du temps... Avec un peu de recul, on comprend que ces endroits ne sont pas du tout comme ça et que la pureté n’est qu’une prison, dans laquelle ils se sont enfermés pour sauvegarder leur salut économique.

LES ABEILLES
Je connais très bien les abeilles, je les adore. J’ai même travaillé dans la production de miel pendant un temps. S’il n’a pas été facile de convaincre les assurances qu’il n’arriverait rien de mal pendant le tournage, j’ai vraiment insisté pour qu’on utilise que de vraies abeilles, sans recourir à des effets visuels. Je souhaitais être au plus prêts de la sensation procurée par la matière brute, et que les acteurs travaillent avec de véritables ruches et de vrais essaims. La seule façon d’y arriver était de faire de nombreux essais. Je me souviens que les parents de Maria Alexandra Lungu (qui joue Gelsomina) étaient très contents : ils ont dit que si le film ne se faisait pas, leur fille aurait au moins appris quelque chose et pourrait devenir apicultrice!

MARIA ALEXANDRA LUNGU DANS LE RÖLE DE GELSOMINA
Je ne savais pas exactement comment je voulais que soit le personnage de Gelsomina, mais je savais que je la reconnaîtrais quand je la verrais. C’est exactement ce qui s’est passé. Après plusieurs mois de recherche, je n’ai eu aucun doute quand j’ai vu Maria Alexandra Lungu en classe de catéchisme (ce qui est assez drôle quand on pense à l’histoire de mon premier film, CORPO CELESTE). Elle avait 11 ans. D’origine roumaine, elle a toujours vécu en Italie. Elle n’avait jamais joué la comédie. Nous avons donc passé beaucoup de temps avec les abeilles pour que, comme son personnage, elle maîtrise totalement les gestes de l’apiculture. Travailler avec elle a été une vraie joie, de par sa présence généreuse et le fait qu’elle a aimé travailler avec nous, ce qui est peut-être le plus important.

LA MAISON
Afin de trouver une image authentique, nous avions besoin d’une maison bien sûr, mais aussi de l’esprit d’une famille qui l’avait habitée. La maison que nous avons choisie a toujours été là. Elle est constituée de parties anciennes et d’autres plus récentes, personne ne l’ayant rénovée de manière uniforme. Jusqu’à récemment, il était tout à fait normal de vivre ainsi: on s’installait dans une maison et, dès lors, on faisait partie d’une histoire pré-existante, qui ne pouvait pas être complètement contrôlée... Seules les nouvelles générations ont voulu donner un seul style à leur habitation, qu’il soit ancien ou moderne. Cela n’a d’ailleurs pas été évident de trouver la bonne maison : toutes celles que nous avons vues étaient soit trop abîmées par les intempéries, soit trop rénovées. Pendant les repérages, nous avions avec nous le très beau livre de Roberto Innocenti, «La Maison», qui, en un sens, nous a guidés.

LA FAMILLE
La famille est constituée du père, Wolfgang, originaire d’un pays au Nord (peut-être la Belgique ou l’Allemagne), d’Angelica, la mère italienne, et de leurs quatre filles: Gelsomina, l’aînée, Marinella, Caterina et Luna. Ils vivent en autarcie avec leur potager, leurs ruches et une amie de la famille, Coco. Pourquoi cette vie ? La réponse est presque gênante, mais vraie... Ils veulent protéger leurs filles du délabrement, de la destruction, de la corruption, dont seule la campagne peut sauver, et uniquement en restant tous ensemble. Leurs intentions sont sincères, même s’ils s’expriment parfois avec colère. Mais comment transmettre cette philosophie de vie à Gelsomina, la petite princesse, la fille chérie de son père ? Elle aspire à une vie plus simple, plus sereine, et veut une famille comme celle de ses amies: avec moins d’idéaux et plus de sagesse. Progressivement, Wolfgang sent qu’elle lui échappe, sa fille aînée en qui il a placé tous ses espoirs et qui est meilleure apicultrice que lui. Si les filles veulent partir, à quoi bon tous ces efforts?!

MA SOEUR ALBA
Travailler avec Alba (qui joue la mère) a été très excitant et nécessaire, non seulement parce qu’elle est une grande actrice, mais aussi une sœur formidable. Nous partageons le même imaginaire, si bien que nous n’avons pas besoin de beaucoup nous parler. Et même lorsque nous voyons les choses différemment, notre intuition nous unit. Nous serons toujours liées tout d’abord par le fait que nous sommes des «métisses», nous appartenons à un monde situé entre deux (l’Italie et l’Allemagne) et par la constante recherche de quelque chose. Comme l’écrit Elsa Morante dans «L’Île d’Arturo», «un métis est un voleur qui tourne le dos au trésor. Il ne le voit pas devant lui, donc il le cherche sans cesse». Entre nous, il n’y a aucun mensonge, aucune tromperie. C’est une force et aussi une raison pour chacune de s’améliorer.

SAM LOUWYK DANS LE RÔLE DE WOLFGANG
Pour le rôle du père, je voulais façonner un héros à la fois très humain et très dur, qui n’a aucune conscience de lui-même et se perd dans ses propres idéaux. Donc, même quand il commet des erreurs et se comporte mal, il est difficile de le juger. Wolfgang est comme un enfant ou certains animaux. C’était très important pour moi de raconter cette histoire avec des personnages qui ne peuvent pas être psychanalysés, sinon tous leurs gestes deviendraient sombres et tordus. En particulier l’amour d’un père pour sa fille, qui peut devenir nébuleux s’il est trop rationalisé. Je voulais que la relation entre Wolfgang et Gelsomina soit un amour instinctif. Comme un animal, il protège sa tanière et ne connaît que les saisons. Il a été très difficile de trouver un acteur qui ait la spontanéité et la clarté nécessaires. Ce n’est pas un hasard si Sam Louwyk est avant tout un danseur professionnel. Toute sa réflexion provient du corps et, si le corps sait où aller, la tête suit.

ILS SONT TOUS DES «ANCIENS QUELQUE CHOSE»
Dans notre histoire, cette communauté est faite de gens arrivés à la campagne par choix politique, manque de travail dans les villes, et aussi parce que les années de manifestations avaient été étouffées par la violence et la désillusion. Ils ont lu des livres, appris à créer un potager et enduré les saisons seuls. Ce sont tous des «anciens quelque chose», avec des langues et des passés différents, mais des idéaux communs. J’ai rencontré de nombreuses familles comme celle-ci en Italie, mais aussi en France et en Grèce: de petites communautés autonomes, avec leurs propres règles et une vie parallèle différente de ce qu’on lit dans les journaux. Mais ce n’est pas une vie facile: il faut travailler dur et il est difficile de survivre sans le réconfort de l’appartenance à un mouvement.

Ce ne sont pas de vrais fermiers puisqu’ils ne sont pas de cette terre, et on ne peut pas les définir comme des citadins puisqu’ils ont coupé les ponts avec la ville. Ce ne sont pas des hippies puisqu’ils se tuent à la tâche du lever au coucher du soleil, mais ce ne sont pas des exploitants agricoles puisqu’ils refusent d’utiliser une technologie plus efficace au nom d’une vie plus saine. Sans mouvement, qui serait une définition assignée par l’extérieur, il ne reste qu’un mot: la famille. Ce même mot qu’ils voulaient détruire pendant les manifestations de 1968 est aujourd’hui leur arche de Noé, leur seul refuge. Ils sont une famille.

LES MERVEILLES & LES ÉCHECS
Une merveille est une chose qui vous laisse sans voix. C’est ce qui se situe entre le monde terrestre et le fantastique. Mais le mot «merveille» est depuis quelque temps utilisé à tort et à travers, souvent associé à la promesse de grandes et magnifiques émotions. Dans LES MERVEILLES, mon film, il y a de petites merveilles faites de lumière, d’ombres, d’animaux et de secrets d’enfance, et il y a aussi de grandes merveilles, comme celles liées à l’apparition de Milly Cantena, incarnée par Monica Bellucci, la présentatrice d’un concours télévisé: «LE PAYS DES MERVEILLES», qui promet de redonner vie au passé. Dans les faits, cette émission nous emmène dans un paysage en transformation et à la rencontre d’une famille qui n’a pas de place. Le film parle probablement de l’échec. Les gens ne changent pas, ils ne s’améliorent pas non plus. S’ils n’ont pas de place au début, ils n’en trouveront pas à la fin. Il n’y a pas de bons ni de mauvais. Il y a seulement des gens plus vulnérables, mais ceux qui s’exposent sont souvent ceux qui échouent.

MONICA BELLUCCI
Pour incarner Milly Catena, la présentatrice de télévision, nous voulions une icône de beauté, une femme qui serait à la fois une bonne fée et une vraie femme. Monica Bellucci a ces deux mondes en elle: le magique et le charnel. Elle est aussi dotée d’un extraordinaire sens de l’humour, y compris à son sujet, ce qui est un trait de caractère fondamental pour une actrice. Le fait de travailler avec elle a aussi recréé le véritable dynamisme du film. Les gens qui ont participé aux scènes du jeu télévisé étaient tout aussi transportés par elle que leurs personnages devaient l’être par Milly Catena. Cela a créé une confusion assez drôle entre la réalité et la fiction, au point que nous ne pouvions plus faire la différence. À l’origine, le personnage de Monica devait être une icône sans profondeur. Cela ne signifie pas qu’elle devait être superficielle, mais pure et inaccessible. À la fin, dans le dernier plan, on réalise qu’il y a toujours une personne derrière l’icône et qu’elle n’est pas toujours libre.

UN CHANGEMENT PROFOND ET DOULOUREUX
Aujourd’hui, en Italie, quand on parle de la campagne, ce n’est qu’en termes de destructions, de ruines imminentes, ou comme toile de fond à des histoires romantiques et innocentes. Pourtant, ce qui est en train de s’opérer dans le paysage italien est un changement bien plus profond et douloureux. La longue lutte pour la terre, théâtre d’affrontements millénaires entre les propriétaires terriens et les ouvriers, n’a pas abouti. Elle s’est simplement évaporée. Le champ de bataille a été abandonné et les spéculateurs sont arrivés. Ils ont d’abord brûlé tout ce qu’ils ont trouvé, puis ils se sont emparés des rares zones plus ou moins intactes et les ont transformées en parcs d’attraction, en une sorte de musée à ciel ouvert.

LA PRODUCTION
Le tournage a duré huit semaines, après plusieurs mois de pré-production consacrés aux repérages, au casting, etc. Nous avons travaillé avec enthousiasme et je peux vraiment dire que ce film existe grâce à un groupe de gens incroyables, qui ont quitté leurs villes pour s’installer dans mon coin perdu. Nous avons suivi le même parcours que la famille: nous avons trouvé une maison que nous avons rafistolée, créé un jardin et apporté des animaux. Bien sûr, ce processus a duré plusieurs mois. Je crois que, dans le film, on voit, on sent, la relation particulière qui se noue entre les acteurs, l’équipe et le lieu. Selon moi, l’expérience compte toujours. J’aime travailler sur une fiction, sur une histoire fabriquée avec des personnages qui n’existent pas, mais avec de véritables liens. Tout ceci, même si c’est invisible, peut imprégner les images comme une poussière magique et se voir dans le film.

UN TRÈS BON MIEL
La famille de Gelsomina produit du miel et du très bon! Mais leur laboratoire et leur méthode sont complètement illégaux: les murs ne sont pas stériles, ils n’ont pas le tout-à-l’égout, la salle de bains est dans l’entrée... Que dire du fait de faire travailler des enfants? Pour faire court, ce qu’ils produisent est bon, mais si on y regarde de plus près, ils pourraient être jetés en prison. Cela arrive aussi dans notre travail. Bien souvent, les bons films ne sont pas conformes aux règles de la narration et de la production. Bien sûr, le risque existe que le public, comme l’inspection de l’hygiène, nous oblige à fermer boutique. Mais je pense qu’avant de se demander quelle quantité de miel on doit vendre, mieux vaut se demander si le miel est bon et surtout si vous le donneriez à manger à vos propres enfants.

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