Saturday, June 16, 2018

Le vénérable W. / The Venerable W.



Director: Barbet Schroeder
Country: France, Switzerland
Year: 2017
Production companies: Les Films du Losange / Bande à Part Films
Producers: Lionel Baier, Margaret Ménégoz
Cinematography: Victoria Clay-Mendoza.
Music: Jorge Arriagada
Sound: Florian Eidenbenz, Georges Prat
Editing: Nelly Quettier.
Featuring: Ashin Wirathu, U. Zanitar, Kyaw Zayar Htun, U. Kaylar Sa, Matthew Smith, Abdul Rasheed, Carlos Sardiña-Galache
Narrators: Bulle Ogier, Maria de Medeiros, Barbet Schroeder.
Duration: 1.40
Languages: en, fr, es, my
    In the presence of Barbet Schroeder hosted by Olaf Möller.
    DCP of an English version viewed at the School, Midnight Sun Film Festival (MSFF), Sodankylä, 16 June 2018.

MSFF: "Barbet Schroeder’s latest film, The Venerable W., ends the director’s ”Trilogy of Evil” 43 years after a similarly-toned portrait of Idi Amin (1974). The massive time gap between the films shows that the director has had an eye for important and thrilling topics as well as obnoxious main characters throughout his long career."

"Schroeder’s documentary points its gaze at Myanmar and the conflict between Buddhist majority and Muslim minority there – an issue that has received far too little attention in the West. In this case, the film also takes a conscious step toward breaking stereotypical ideas about pacifist Buddhists and warmongering Muslims."

"The people of Myanmar are manipulated with ruthless propaganda that has confluences throughout world history. In fact, much of the film’s effect comes from its ability to display an ethnic hostility that should already be extinct in our modern day. The purpose of the propaganda in Myanmar is to turn the people against the Muslims of the country. The primary antagonist in this persecution is Buddhist monk and demagogue Ashin Wirathu through whom the documentary shows the shocking escalation of hate speech and racism. The film dismisses expectations, gives shivers, and ultimately leaves the viewer extremely upset. This is why the film is an important one and everyone should see it." (TET)

AA: An exceptional documentary film on the persecution of Muslims in Myanmar, focusing on the topical Rohingya persecution that started to escalate in 2016. The international community has called it "ethnic cleansing" and even "genocide".

Barbet Schroeder's film meets high standards of research and investigative journalism, with the topical accent of accessing a massive contemporary visual documentation available on the internet. 90% of the people of Myanmar are in Facebook. The social media presence there has exploded in three years.

The distinction of the film is that Schroeder has been able to conduct in extenso interviews with the mastermind of the current persecution, Ashin Wirathu. This is comparable to a situation where a Western liberal journalist would have have been permitted to conduct candid interviews with Hitler.

Schroeder's personal commitment to the tragedy stems from his lifelong study of Buddhism. Buddha and Spinoza for him are key philosophers against hate. Ashin Wirathu in his hate speeches represents the diametric opposite of this. The documentary records of Ashin Wirathu as a mass demagogue are as creepy as Triumph des Willens. Schroeder's mother is a German who left Germany in the 1930s and never spoke German again. (She is still alive.)

The scope and ethos of this film is epic. It is about the Rohingya persecution and equally it is about the perilous situation of the world in general. Hate speech, fake news and the internet are an inflammatory and potentially catastrophic combination.

Based on sober and balanced observations, Le vénérable W. grows into a shattering wake-up call. Good judgement has been used in presenting gruesome footage.

In the footage shot by the team for this film the technical quality of the new digital mini cameras and sound recorders is high. The compilation quality of much of the film is in the nature of things.

BEYOND THE JUMP BREAK: DATA FROM THE DOSSIER DE PRESSE:
BEYOND THE JUMP BREAK: DATA FROM THE DOSSIER DE PRESSE:

[copied from PDF, to be edited]

Synopsis

En Birmanie, le “Vénérable W.” est un moine bouddhiste très influent. Partir à sa rencontre, c’est se retrouver au coeur du racisme quotidien, et observer comment l’islamophobie et le discours
haineux se transforment en violence et en destruction. Pourtant nous sommes dans un pays où 90% de la population est bouddhiste, religion fondée sur un mode de vie pacifique, tolérant et non-violent.

BarBet Schroeder
(Propos recueillis par Emilie Bickerton)

L’ORIGINE DU FILM.

Pour  moi,  le  bouddhisme  est  une  religion athée, sans dieux, et qui permet le pessimisme. Cette  pensée  m’a  toujours  fasciné,  au  point qu’en  1961,  à  l’âge  de  20  ans,  j’ai  entrepris  un long voyage sur les lieux historiques du Bouddha jusqu’au Sri Lanka. Tout change et se transforme constamment : c’est l’une  des  idées  fondatrices  de  la  vision  bouddhiste  du monde. Le Bouddha a lui-même annoncé, de son vivant, la fin de sa propre doctrine : il a estimé que, 5000 ans plus  tard,  il  n’en  resterait  plus  rien...  Aucun  chef  religieux n’a jamais eu ce courage. C’est peut-être pour cela que j’ai  toujours  considéré  le  bouddhisme  comme  l’un  des trésors les plus précieux de l’Humanité.

L’idée  de  ce  film  a  émergé  après  la  relecture,  il  y  a près  de  deux  ans,  de  l’extraordinaire  et  incontournable Bouddha  historique,  de  Hans  Wolfgang  Schumann, suivi  par  hasard  du  Rapport  de  la  Faculté  de  Droit  de l’Université  de  Yale,  qui  suppliait  très  officiellement  les Nations Unies d’intervenir en Birmanie. Le texte énumérait tous  les  signes  d’un  début  de  génocide  à  l’encontre  de la minorité musulmane des Rohingyas et incriminait plus précisément  un  mouvement  de  moines  extrémistes.  J’ai voulu en savoir plus.

Je  suis  donc  parti  sur  place,  dans  la  ville  la  plus bouddhiste  du  monde,  Mandalay,  qui  compte  plus  de 300 000 moines pour 1 million d’habitants. Ces moines sont répartis dans des centaines de monastères à travers la  ville.  Ils  suivent  tous  la  tradition  du  Theravada,  qui  est 
la plus proche du bouddhisme originel. Je ne suis pas le seul  à  penser  le  bouddhisme  comme  l’un  des  derniers remparts de l’Occident, et pour moi sans doute la dernière illusion, la seule religion qui a jusqu’à présent su éviter le fanatisme  et  l’extrémisme.  L’idée  bouddhiste a  d’ailleurs  pénétré  tout  l’Occident,  depuis la  découverte  de  ses  textes  traditionnels  par quelques  penseurs  au  milieu  du  XIXème   siècle, parmi  lesquels  Schopenhauer  (qui  fut  l’un  des premiers  à  les  découvrir,  en  1814  lors  de  son  séjour  à Weimar chez Goethe et son cercle d’amis). La réputation
du  bouddhisme  s’est  ensuite  étendue  en  Europe,  en s’accélérant  jusqu’au  délire  au  XXème
  siècle  dans  toute l’Amérique du Nord et le monde occidental.

LA « TRILOGIE DU MAL ».

Je  considère Le  vénérable  W.  comme  le  dernier volet  d’une  “Trilogie  du  mal”,  commencée  avec Général Idi  Amin  Dada  sur  le  dictateur  ougandais  (1974),  puis L’Avocat de la terreur (2007) sur Jacques Vergès.

Le même point de départ est à l’origine de ces projets : il s’agit de rencontrer en les faisant parler sans les juger des personnages  au  travers  desquels  le  mal  peut  s’incarner sous différents visages et en laissant l’horreur ou la vérité s’installer d’elles-mêmes petit à petit.

Lors  d’une  conversation  l’écrivain  de  théâtre  anglais Patrick  Marber  m’a  demandé  tout  d’un  coup  :  “Nous sommes  maintenant  au  XXIème  siècle,  quel  est  d’après vous le thème le plus important qu’un dramaturge devrait aborder ?”

Je  me  souviens  de  lui  avoir  répondu  sans  hésiter  :  le mal. Il était très légèrement déçu par ma réponse, en me demandant si je ne pensais pas que Shakespeare avait déjà  beaucoup  couvert  ce  terrain-là.  Pour  moi,  chaque époque  voit  naître  ses  propres  manifestations  du  mal, c’est  pourquoi  le  thème  est  inépuisable,  inséparable  de l’humanité,  particulièrement  pour  le  20ème  siècle, parler du 21ème qui a l’air de vouloir faire de la haine et du mensonge des sujets incontournables.

Donner un troisième volet à cette trilogie du mal était une obsession depuis longtemps. Dès la fin du tournage d’Amin  Dada  deux  projets  ont  été  très  avancés  et  très près d’aboutir. Le premier aurait été sur les Khmers Rouges, sur  la  dictature  de  l’utopie,  en  opposition  à  celle  plus traditionnelle d’Amin Dada. Ceux qui restaient des Khmers rouges étaient assiégés par les Vietnamiens, ils étaient sur le point d’être exterminés et très souvent bombardés. L’idée était d’aller les rejoindre et de demander des entretiens à tous les chefs Khmers rouges qui étaient encore là autour de Pol Pot. À travers des intermédiaires, on m’avait assuré qu’ils  auraient  tous  accepté  car  je  m’étais  engagé  à  ne jamais parler de leurs années au pouvoir mais uniquement de  leurs  années  d’université  à  Paris,  de  leurs  influences, leurs  rêves  anticolonialistes,  de  leurs  cafés  du  quartier latin, etc. Le film allait de plus être tourné entièrement et parlé uniquement en Français.

Le film n’a pas abouti. J’avais pourtant trouvé la moitié du  financement  auprès  d’un  très  riche  Anglais.  Mais  je n’ai  pas  convaincu  la  TV  française  et  ce  n’est  qu’à  la victoire  des  Vietnamiens  que  j’ai  fini  par  définitivement abandonner ce projet auquel je tenais plus que tout, car il aurait montré un mal absolu sous ses meilleures intentions utopiques.

L’autre projet assez avancé était sur Lopez Rega, sorcier, magicien et chef des escadrons de la mort en Argentine. Il était l’acolyte d’Isabelita Péron, tous deux avaient donné leur accord. En fait il s’agissait pour moi d’un documentaire à quatre personnages dans lequel les deux personnages
vivants faisaient un écho caricatural à Juan et Evita Perón, évoqués à travers les extraordinaires images d’actualités de leur période au pouvoir qui avait peuplé mon enfance en  Colombie.  Le  film  aurait  examiné  comment  le  mal utilisait  le  mythe  d’Evita  et  la  sorcellerie  pour  inspirer  les 
Escadrons de la mort.

Évidemment  avec Le  Vénérable  W.   la  donne  était différente  puisqu’il  était  question  du  possible  premier génocide du XXIème siècle. Je ne pouvais pas laisser selon mon  habitude  le  spectateur  découvrir  seul  les  outrances cachées ou calculées de Wirathu. Il était donc impossible
de  ne  pas  évoquer  aussi  le  point  de  vue  des  victimes Rohingya à l’aide des extraordinaires archives modernes auxquelles j’ai eu accès. Il fallait aussi faire intervenir une autre  parole  bouddhiste,  à  travers  deux  moines  de  la même   génération   que   Wirathu,   mais   qui   lui   sont  
idéologiquement opposés.

COMMENT S’EST FAIT LE FILM.

Après   plus   de   six   mois   d’intenses   recherches  approfondies  dans  le  secret  le  plus  absolu,  nous  avons pris  des  visas  de  touristes  et  des  billets  à  prix  réduit. Une fois sur place, après avoir établi une base dans un hôtel  modeste  j’ai  fini  par  réussir  à  rencontrer  Wirathu et  lui  proposer  cette  aventure.  Il  voulait  savoir  pourquoi je  voulais  faire  ce  film,  je  lui  ai  répondu  que  Marine  Le Pen  partageait  beaucoup  de  ses  idées,  et  que  si  elle arrivait  au  pouvoir  elle  ferait  sans  doute  appliquer  des lois semblables à celles qu’il venait d’arriver à faire voter dans  son  pays.  En  fait  la  réponse  que  j’avais  donnée  à Wirathu était assez proche de la vérité car c’était en effet
des  problèmes  occidentaux  dont  je  voulais  aussi  parler, en approchant un personnage dont le bouddhisme était en  fait  avant  tout  nationaliste  et  populiste.  Une  fois  sur place  j’ai  donc  compris  que  nous  avions  beaucoup  à apprendre des bouddhistes extrémistes. Les “axes du mal”
et les populismes n’ont pas de frontières... 

Je voulais comprendre comment ce genre de paroles provoquaient  des  passages  à  l’acte  alors  que  ceux  qui les  prononçaient  avaient  souvent  un  discours  de  paix  et d’harmonie.

Toutes  les  religions  ont  une  face  claire  qui  prêche  la paix et la bienveillance, mais la sagesse du Bouddhisme à cet égard est inégalable et augmente notre perplexité. L’  image  de  la  braise  rougeoyante  deviendra  l’une des  images  clefs  du  film  et  montre  comment  les  paroles de  haine  après  une  période  d’incubation  peuvent,  à  la moindre  étincelle,  déboucher  sur  des  émeutes  où  sont incendiés  des  quartiers  musulmans  tout  entiers  et  leurs mosquées transformées en ruines.

Cette partie du film a été réalisée grâce à des images prises au cours des émeutes et où l’on peut constater que l’armée ou la police sont souvent là, mais n’interviennent pas.  Il  est  difficile  de  ne  pas  faire  des  analogies  avec le  phénomène  des  “pogroms”  de  Russie,  de  Pologne, d’Allemagne  et  d’ailleurs.  Cette  non  intervention  est  l’une des  constantes  de  tous  les  pogroms  et  il  faut  bien  en conclure que le pouvoir malgré ses dénégations doit bien finir  par  y  trouver  un  avantage.Plus  j’avançais  dans  ce projet, plus je me sentais comme un lièvre pris dans le feu croisé de multiples parties de chasse, à la fois simultanées et antagonistes les unes des autres. Ils avaient tous de très bonnes raisons pour empêcher le film de se faire :

•  Il  y  avait  d’abord  le  pouvoir,  partagé  entre  deux sous-groupes,  les  Militaires  pour  lesquels  W.  avait  fait campagne, et son ennemie mortelle Aung San Suu Kyi qui a été rapidement dépassée par la situation et a fini, surtout après  le  9  octobre  2016,  par  défendre  sans  retenue  les exactions  des  Militaires  allant  jusqu’à  qualifier  de  “Fake Rape”  leur  utilisation  systématique  de  l’arme  du  viol, pourtant  analysée  en  détail  dès  2002  par  les  rapports des SWAN, Shan Women Action Networks et en 2017 par de très sérieux journalistes.

• Il y avait aussi, sur le terrain, les bouddhistes extrémistes opposés   aux   musulmans   continuant   d’organiser   leur mouvement Ma Ba Ta en essayant, peut-être avec l’aide des  Militaires,  de  devenir  les  arbitres  de  l’échiquier politique du pays.

La  situation  est  devenue  intenable  quand  nous  nous sommes  rendus  compte  que  l’influence  modératrice  de Aung  San  Suu  Kyi  avait  disparu  et  que  les  Militaires décidaient à nouveau de tout et s’apprêtaient à s’occuper sérieusement  de  nous  après  avoir  constitué  un  dossier incluant  des  photos  de  notre  tournage  clandestin  dans tous  les  endroits  musulmans  que  nous  avions  filmés.  Ils étaient aussi au courant de toutes nos visites à Wirathu. Nous  sommes  sortis  du  pays  in  extremis.  Mais  nous n’avions  pas  encore  vraiment  compris  la  gravité  de  la situation.  Nous  étions  persuadés  de  pouvoir  revenir  un ou  deux  mois  plus  tard  après  avoir  obtenu  des  visas 
de  journalistes.  À  tel  point  que  nous  avions  laissé  sur place  deux  malles  en  fer  avec  beaucoup  de  ce  que nous  avions  besoin  pour  le  2ème  tournage.  Il  a  fallu déchanter, un ordre venant directement du sommet, pour le  porte-parole  de  Aung  San  Suu  Kyi  nous  interdisait 
dorénavant  l’entrée  du  pays  jusqu’à  nouvel  ordre.  Pour pouvoir  terminer  un  film  déjà  bien  avancé  nous  avons donc  dû  organiser  la  deuxième  partie  du  tournage  à partir de la Thaïlande voisine. Il restait quand même une dizaine de personnes qui devaient absolument intervenir dans  le  film.  Nous  les  avons  ou  fait  venir  à  Bangkok  ou rencontrés  dans  des  zones  frontalières  de  jungle  peu fréquentées. Le montage a lui aussi été palpitant puisque nous   étions   confrontés   à   une   situation   extrêmement  changeante. Il fallait chaque jour nous répéter le mantra afin de ne pas perdre notre direction et notre concentration dans  le  tourbillon  de  nouvelles  birmanes,  en  continuant de rechercher par exemple des preuves convaincantes et irréfutables de la collusion entre les Militaires et Wirathu.

Personne  n’y  était  arrivé  sauf  Andrew  Marshall  pour Reuters, avec la découverte du personnage de Kyaw Lwin, l’inventeur  du  concept  969,  qui  a  malheureusement  très peu rencontré W., peut-être même une seule fois en 1992, avant que Kyaw Lwin ne quitte son poste moins d’un an après avoir été nommé en charge des affaires religieuses par les Militaires. Nous avons dû abandonner cette piste comme beaucoup d’autres après des mois de travail.

L’un  des  pièges  de  ce  projet  était  aussi  de  ne  pas finir  par  faire  un  film  sur  les  Rohingyas.  Vu  l’urgence  de la   situation   c’était   pratiquement   inévitable,   mais   j’ai  toujours  voulu  recadrer  ce  problème  à  l’intérieur  d’une haine générale pour le monde musulman et des dangers
que cela pouvait représenter dans n’importe quel pays. Il fallait aussi trouver une fin à cette histoire qui avançait et continue d’avancer comme un toboggan. La fin avec Daw Aung  San  Suu  Kyi  et  l’intervention  du  monde  musulman m’ont paru une fin provisoire intéressante.

LA FORME.

J’ai  été  extraordinairement  aidé  par  ma  complice Nelly  Quettier  au  montage.  Nous  avions  déjà  vécu  une belle  aventure  auparavant  :  L’Avocat  de  la  terreur. Le Vénérable  W.  10  ans  plus  tard  bénéficie  d’un  nombre incalculable  de  progrès  techniques  en  commençant  par 
la  petite  caméra  Sony  AS7  4k  (deux  fois  la  résolution d’un film de cinéma) dont je dis qu’elle crée la beauté en permettant  de  tout  tourner,  toujours  en  lumière  naturelle même si c’est le clair de lune ! La plus grande partie de l’action du film se déroule à partir de 2012 et c’est aussi à  ce  moment-là  que  les  iPhone  ont  commencé  à  avoir une qualité compatible avec le grand écran. Nous avons pu  ainsi  accéder  à  de  nombreux  tournages  amateurs correspondant  aux  incidents  de  cette  époque.  En  2003, au contraire il n’y avait pratiquement pas d’images pour la  première  grande  émeute  dans  laquelle  Wirathu  a eu un vrai rôle, dans sa ville natale de Kyaukse, et pour
laquelle il a été emprisonné jusqu’en 2012. Nous avons très vite décidé d’intégrer au film de très nombreux types de  matériel  même  s’ils  étaient  de  très  mauvaise  qualité, pris  sur  YouTube  ou  Facebook.  La  gageure  du  film  était de ne connaître ni la langue ni l’écriture et de dépendre d’un réseau d’interprètes dans plusieurs pays pour savoir ce  qui  était  dit  dans  les  centaines  d’heures  de  matériel auxquelles  nous  avions  eu  accès  par  de  nombreuses sources. Il a fallu aussi que nous arrivions à comprendre les complexités d’un pays que nous devions découvrir. Tout cela était absolument passionnant mais les neuf mois de montage nous ont paru à peine suffisants.

LE DOCUMENTAIRE.

Depuis le début il a toujours été pour moi intimement lié au cinéma. Tous mes films de fiction sont “documentés” et  je  recherche  toujours  les  ressorts  dramatiques  de  la narration  et  des  personnages  de  mes  documentaires, Je  ne  peux  pas  concevoir  un  film  de  fiction  sans  avoir 
une première impression documentaire pour me soutenir, ce  qui  me  rend  totalement  incapable  par  exemple  de concevoir la réalisation d’un film historique en costumes. Je ne peux pas non plus m’empêcher de voir tous les éléments d’un documentaire sous un angle dramaturgique et  la  narration  come  une  succession  de  plans  qui  elle aussi  ménage  les  effets  de  surprise,  ou  de  suspens. Le  cinéma  reste  pour  moi  un  art  dramatique.  Qu’il  soit documentaire ou pas.

LA MUSIQUE.

J’ai travaillé avec mon ami Jorge Arriagada, qui avait composé les musiques de L’ Avocat de la terreur, Inju et La vierge des tueurs. Nous avons eu une approche semblable à  celle  utilisée  dans  les  films  de  fiction  en  cherchant  à faire  remonter  à  la  surface  des  associations  d’idées  non 
dites. Par exemple, la musique souligne le lien qu’il peut y avoir entre l’enfant qui regarde les affiches effrayantes que Wirathu  a  placé  devant  ses  bureaux,  et  l’enseignement qu’il donne à des foules d’enfants. Ou encore le souvenir d’un  viol  dont  W.  a  été  témoin  à  l’âge  de  11  ans  peut 
devenir ainsi à travers la musique, l’une des explications possibles de ses obsessions.

Nous  avons  aussi  employé  à  plusieurs  reprises  deux chansons  joyeuses  faisant  partie  de  la  propagande  des mouvements extrémistes, et c’est seulement à la toute fin du film que nous en révélons les terribles paroles, en contraste total  avec  le  Méta  Sutta,  l’un  des  chants  récités  les  plus essentiels du bouddhisme Theravada dont la mélodie ou les paroles en langue Pali reviennent à plusieurs reprises dans le film :

« Ye keci pâna-bhûtatthi, tasâ vâ thâvarâ vanavasesâ;
dîghâ vâ ye va mahantâ, majjhimâ rassakâ anuka thûlâ.

Quelque soient les êtres vivants :
faibles ou forts, longs, grands, moyens, courts, petits ou gros

Ditthâ vâ ye va aditthâ, ye va dûre vasanti avidûre;
bhûtâ va sambhavesî va, sabba-satta bhavantu sukhitattâ.

Visibles ou invisibles, proches ou lointains, nés ou à naître ;
puissent tous les êtres sans exception être heureux

Na paro param nikubbetha, nâtimaññetha katthaci na kiñci;
byârosanâ patighasaññânâ ññama-ññassa dukkhamiccheyya.

Que personne ne déçoive ni ne méprise qui que ce soit, nulle part.
Que personne ne souhaite le mal aux autres par colère ou malveillance

Mâtâ yathâ niyam puttam, âyusâ ekaputta-manurakkhe;
evampi sabbabhûtesu; mânasam bhâvaye aparimânam.

Comme une mère protègerait son unique enfant au risque de sa propre vie,
cultivons un amour sans limite envers tous les êtres

Mettañca sabbalokasmi, mânasam bhâvaye aparimânam;
uddham adho ca tiriyañca, asambâdham averamasapattam.

Que ces pensées d’amour inf¡ni imprègnent le monde tout entier,
dessus, dessous, de toutes parts, sans obstacle, sans haine ni inimitié

Tittham caram nisinno va, sayâno yâvatâssa vitamiddho;
etam satim adhittheyya, brahmametam vihâra-midhamâhu.

Qu’il soit debout, en marche, assis ou allongé, tant qu’il est éveillé,
il devrait développer un esprit empli d’amour bienveillant.

Ceci est l’état le plus noble

Ditthiñca anupaggamma, sîlavâ dassanena sampanno;
kâmesu vineyya gedham, na hi jâtuggabbhaseyya puna-reti ti.

N’ayant pas de fausses croyances, étant vertueux, doté de la vision
pénétrante et ayant abandonné l’attachement pour les plaisirs des sens,

plus jamais il ne renaîtra dans ce monde
Mettâ-suttam nitthitam. »
Ici se termine le Metta sutta

chronoloGie

JANVIER 1948  :  La  Birmanie  devient  un  État  indépendant  après  plus  de  soixante  ans 
d’occupation coloniale britannique. Une démocratie parlementaire est mise en place.

2  MARS  1962: Coup  d’état  militaire  –  le  général  Ne  Win  s’installe  à  la  tête  du  pays. 
Instauration d’une junte militaire.

10 JUILLET 1968: Naissance de Wiseitta Biwuntha (Ashin Wirathu) à Kyaukse, dans la
région de Mandalay.

6 FÉVRIER 1978: Début de l’opération “King Dragon” dans le village de Sakkipara dans
l’état d’Arakan. Arrestations en masse de musulmans, torture, exécutions, en trois mois plus de
200 000 Rohingyas fuient le pays pour le Bangladesh.

1979: Suite à une plainte des pays musulmans à l’ONU, et en particulier du Bangladesh, le HCR (Haut-Commissariat aux réfugiés) lance l’opération « Oiseau doré » qui oblige le gouvernement birman à accepter le rapatriement des réfugiés.

1982: Les Rohingyas sont tous déchus de la nationalité birmane et privés de leurs droits.

1982: Âgé de 14 ans, Ashin Wirathu entre au monastère de Kyaukse.

1988: Des mouvements pacifiques de protestation populaire demandent la démocratie.

23 JUILLET 1988: Le général Ne Win démissionne.

18 SEPTEMBRE 1988: Un coup d’état militaire met en place une nouvelle junte : le Conseil d’Etat pour la restauration de la Loi et de l’Ordre. La répression qui s’en suit fait des milliers de morts.

1989: Aung San Suu Kyi est assignée à résidence.

27 MAI 1990: Les élections législatives sont très largement remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue Nationale pour la Démocratie. La junte fait alors annuler les élections.

1990: Aung San Suu Kyi reçoit le prix Nobel de la paix.

1991: Mise en place par la junte du Bureau pour la promotion et la propagation du Sasana chargé de promouvoir une identité birmane bouddhiste.

1991 : À 23 ans, Ashin Wirathu devient moine au monastère de Ma Soe Yein à Mandalay.

JUILLET 1991: Lancement de l’opération gouvernementale « Clean and beautiful nation » contre les populations Rohingyas.

1991-1992: Nouvel exode massif de Rohingyas qui fuient le travail forcé, les persécutions et les exécutions sommaires. Plus de 250 000 personnes fuient au Bangladesh, où ils sont parqués dans des camps au sud-est du pays.

AVRIL 1992: Après l’élan initial de solidarité bangladais, le gouvernement demande l’aide du HCR pour organiser le rapatriement en Birmanie des réfugiés.

DE SEPTEMBRE 1992 À JANVIER 1993: 15 000 réfugiés sont forcés de retourner en Birmanie, sans aucune protection.

JUILLET 1995: Aung San Suu Kyi est placée sous liberté conditionnelle.

1997: Fin des rapatriements massifs du Bangladesh à la Birmanie.

1999: À partir de la numérologie, U Kyaw Lwin crée le concept « 969 », qui doit incarner la culture et l’identité bouddhiste.

SEPTEMBRE 2000: Aung San Suu Kyi et les membres de la direction de la LND sont de nouveau assignés à résidence.

2001: Ashin Wirathu reprend l’idée de 969 et en fait un mouvement dont il prend la tête. Il commence à donner ses sermons islamophobes.

MAI 2002 : Les restrictions aux déplacements et aux activités d’Aung San Suu Kyi sont levées.

MAI 2003: Aung San Suu Kyi est de nouveau arrêtée puis assignée à résidence.

19 OCTOBRE 2003: À Kyaukse, des émeutes antimusulmanes font une dizaine de morts et s’étendent à d’autres villes du pays. La junte militaire impose un couvre-feu aux moines bouddhistes de Kyaukse. 11 morts, 2 mosquées détruites, 2 magasins et 26 maisons incendiées.

2003: Ashin Wirathu est condamné à 25 ans de prison pour incitation à la haine et au confflit religieux.

15 AOÛT 2007: Le gouvernement augmente le coût des hydrocarbures.

19 AOÛT 2007: Début de la Révolution de safran. La population réclame la baisse des prix. Les manifestations éclatent à Rangoon et se répandent dans tout le pays. Les moines défilent aux côtés de la population.

26 SEPTEMBRE 2007: Les forces armées prennent le contrôle des monastères et interviennent contre les manifestants à Rangoon faisant au moins quatre morts.

AVRIL 2008: La junte publie un projet de Constitution en vue d’une démocratisation du pays. Il prévoit qu’un quart des sièges du Parlement sera réservé à des officiers désignés par l’armée et rend Aung San Suu Kyi inéligible à la présidence.

7 NOVEMBRE 2010: Après 22 ans, des élections sont organisées par la junte. Un parlement bicaméral et 14 assemblées sont élus.

13 NOVEMBRE 2010: Aung San Suu Kyi est libérée de son assignation à résidence.

4 FÉVRIER 2011 : Thein Sein, du parti de l’union, de la solidarité et du développement, est élu président de la République. La junte est dissoute.

JANVIER 2012: Ashin Wirathu est libéré lors d’une amnistie générale.

2012:  Ashin  Wirathu  lance  le  programme  «  Gana  Wasaka  Sangha  »,  catéchisme  du  mouvement  969  qui  doit  être répandu dans tout le pays, ainsi qu’une campagne de boycott de grande ampleur des magasins musulmans.

28 MAI 2012: Viol et meurtre d’une jeune birmane bouddhiste par trois musulmans.

3 JUIN 2012: En Arakan, suite au viol de la jeune bouddhiste, 10 pèlerins musulmans sont tués par des bouddhistes dans le bus qui les ramenait à Rangoon.

5  JUIN  2012:  Manifestation,  devant  la  mosquée  de  Rangoon,  de  musulmans  brandissant  les  photos  des  10  pèlerins assassinés. Aung San Suu Kyi reçoit les manifestants et annonce qu’elle les a calmés.

8 JUIN 2012: Émeute à la sortie de la mosquée de Maungdaw. Plusieurs villages sont incendiés faisant 7 morts et environ 500 maisons détruites.

JUIN 2012: L’état d’urgence est proclamé.

12 AU 13 JUIN 2012: Émeutes bouddhistes à Sittwe qui font 21 morts.

28 JUIN 2012: Le bilan depuis le début des violences est de 80 morts, 100 000 déplacés et 4200 maisons brûlées.

SEPTEMBRE 2012: Ashin Wirathu et ses partisans manifestent à Mandalay pour soutenir le discours du président Thein Sein qui considère les Rohingyas comme des illégaux bangladais qui ne relèvent pas de la responsabilité birmane.

OCTOBRE  2012: 2ème vague de violences en Arakan affectant la majorité de la région de l’état de Rakhine et dont les principales victimes sont les musulmans Rohingya.

À  PARTIR  DE  NOVEMBRE  2012:  Wirathu  va  donner  des  sermons  dans  tout  le  pays  au  rythme  de  15  par  mois contenant tous des tirades antimusulmanes.

20 MARS 2013: À Meitkila, ville centrale contenant 30% de musulmans mais dépourvue de Rohingyas, les violences durent pendant 3 jours et font 40 morts.

25  MARS  2013:  Les  violences  s’étendent  aux  villes  centrales  le  long  de  la  route  de  Meiktila  à  Rangoon  d’Othekone, Tatkone et Yamenthin. 9 000 personnes doivent fuir.

dernièreS nouvelleS de  Wirathu : ÉvènementS depuiS la fin du montaGe imaGe le  1er janvier  2017

30 JANVIER 2017 : Ashin Wirathu salue l’assassinat et remercie les suspects arrêtés. D’après le prestigieux et courageux journaliste Ko Swe Win qui mène l’enquête :
• Le commanditaire présumé du meurtre, le Lieutenant Lin Zaw Htun etait proche de Wirathu
• Le “cerveau” de l’opération, Captain Zeya Phyo, était proche de Ma Ba Tha.
Des  amis  de  Wirathu  attaquent  le  journaliste  en  justice  en  le  menaçant,  avec  ce  qui  ressemble  à  l’appui  des militaires, de trois ans de prison. Plus de 40 000 signatures sont ensuite recueillies dans une pétition pour intenter une action contre le journaliste Ko Swe Win.

10 MARS 2017 : Le conseil des moines officiel, la Shangha (organisme gouvernemental) interdit à Wirathu de prêcher pendant un an. S’il ne respecte pas l’ordre il sera poursuivi en justice.

11 MARS 2017 : Wirathu commence à faire des prêches “silencieux” pendant lesquels il est assis avec une croix de sparadrap sur la bouche devant des foules de centaines de personnes qui écoutent l’un de ses anciens sermons provenant d’un magnétophone posé à côté de lui. Une épreuve de force entre Wirathu et la LND, parti de Aung San Suu Kyi, se met en place.

1er  AVRIL 2017: Aung San Suu Kyi rejette l’enquête de l’ONU sur les Rohingyas.

2 AVRIL 2017 : Frontier Magazine titre : “LE GOUVERNEMENT PEUT-IL FAIRE FACE AU CHALLENGE POSÉ PAR MA BA TA ?... Quelques moines nationalistes extrêmes rêvent d’un scénario dans lequel leurs discours de haine antimusulmans pourraient créer un confflit sectaire massif qui entraînerait le pouvoir militaire à mettre fin à la transition vers la démocratie.”

2 AVRIL 2017 : La LND remporte les élections législatives partielles.

4 AVRIL 2017 : L’ONU dénonce un “crime contre l’humanité” en parlant des Rohingyas en Arakan.

6  AVRIL  2017  :  Aung  San  Suu  Kyi  répond  en  démentant  tout  nettoyage  ethnique  dans  l’État  d’Arakan  et préfère parler “d’hostilités”. L’assassin au moment où il s’apprête à tirer, photo certainement prise par les commanditaires du meurtre qui sont partis en abandonnant le meurtrier sur place. La photo a été mise sur Facebook dans l’heure qui suit.

29 JANVIER 2017 : U Ko Ni le prestigieux avocat musulman de Daw Aung San Suu Kyi et de son parti le NLD est tué d’une balle dans la tête à l’aéroport alors qu’il tenait son petit-fils dans les bras. U Ko Ni était en train de concevoir une stratégie pour modifier la loi constitutionnelle qui donne un avantage aux militaires.

Pour le maximum de détails sur ce meurtre :
http://hlaoo1980.blogspot.fr/2017/03/buddhist-nationalism-intense-muslim.html

Lien vers toute la documentation utilisée pour le film :
https://www.dropbox.com/sh/whx0vuzg0r5ubux/AACtbFbvSoaeaclExeOD_nxUa?dl=0

leS intervenantS

(par ordre d’apparition)

MATTHEW SMITH
Avant  de  créer  et  de  diriger  l’organisation  des droits de l’homme Fortify Rights, il rédige de 2011
à 2013 d’importants rapports sur la Birmanie pour Human Rights Watch. Il écrit aussi des éditoriaux
pour  le  New  York  Times  et  pour  divers  journaux de langue anglaise.

ABDUL RASHEED
Si les choses avaient suivi leur cours normal, il serait certainement l’un des rares Rohingyas à siéger à l’Assemblée  nationale  du  pays.  Mais  Aung  Suu Kyi a veillé à ce qu’aucun musulman ne puisse se présenter aux dernières élections.

CARLOS SARDIÑA GALACHE
Journaliste  espagnol,  il  suit  sur  place  l’actualité birmane de très près depuis cinq ans. Son travail
est paru dans divers médias allant de El Diario, Al Jazeera à Vice magazine.

KYAW ZAYAR HTUN
Directeur  d’une  des  rares  revues  d’investigation de  Birmanie.  Auteur  du  livre  «  Wirathu  contre  le Monde ».

U. GALONNI
Galonni   est   un   moine   hautement   vénéré,  notamment pour avoir risqué la peine de mort en
accordant  son  soutien  à  des  paysans  privés  de leurs  terres.  Il  a  passé  20  ans  en  prison,  soumis aux tortures et aux travaux forcés.

U. ZANITAR
Il est le Maître de Wirathu. Tous deux sont d’accord pour dire que le Maître est totalement innocent et que c’est l’élève Wirathu seul qui a contribué à la préparation des émeutes de Kyauske en 2003 pour lesquelles ils ont tous deux été emprisonnés

U. KAYLAR SA
Il a participé à la révolution de 1988. Il  est  ensuite  emprisonné  à  deux  reprises.  Une 
fois  libéré,  il  fait  partie  des  cinq  leaders  de  la révolution Safran de 2007.

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