Saturday, March 02, 2024

Il n'y a pas d'ombre dans le désert / No Shade in the Desert

 
Yossi Aviram: Il n'y a pas d'ombre dans le désert / No Shade in the Desert (FR/IL 2024) avec Valeria Bruni Tedeschi (Anna) et Yona Rozenkier (Ori).

FR/IL 2024. Sociétés de production : Les Films du Poisson, 24 Images et Gum Films. Production : Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez. Coproduction : Yoav Roeh, Aurit Zamir, Farid Rezkallah et Annie Dekel-Ohayon
    Réalisation : Yossi Aviram
Scénario : Yossi Aviram, Valeria Bruni Tedeschi et Alexandre Manneville
Photographie : Damien Dufresne - scope
Décors : Virginie Noël
Costumes : Carmel Meir et Virginie Noël
Musique : Winter Family, Xavier Klaine, Ruth Rosenthal et Olivier Robert
Son : Agathe Poche, Simon Apostolou et Pierre Bompy
Montage : Thomas Marchand
    Distribution
Valeria Bruni Tedeschi : Anna
Yona Rozenkier : Ori
Germaine Unikovsky : Batya
Jackie Berroyer : Laszlo
Roni Alter : la petite-fille de l'accusé
Merav Shirom : Ruth
Yoel Rozenkier : Hanoch
Fantine Gelu : Sophia
Alexander Aviram : l'accusé
    Langue originale : français et hébreu
Durée : 101 minutes
Genre : Drame
    Sortie en France : France : 28 février 2024 - Société de distribution : Les Films du Losange - sous-titres français par Aviram Renfort.
    Viewed at MK2 Odéon Côté St Michel, Salle 4, le 2 mars 2024.

Unifrance synopsis: " In Tel Aviv, Ori, an Israeli man who just failed in an attempted suicide, bumps into Anna, a French writer, at the trial of a suspected Nazi war criminal. He is shocked to recognize the love of his life, whose memory has haunted him since they fell madly in love in Turin twenty years before. But Anna maintains that they have never met. Maybe in the desert things will become clear. "

AA: La vida es sueño: Life Is a Dream. Shakespeare and Calderón invented the dream play in the still current sense.

Yossi Aviram's Il n'y a pas d'ombre dans le désert is a dream play, a story involving two people with false memories so overwhelming that they amount to what Ibsen called livsløgnen, a word than can be smoothly translated into German and Nordic languages but not into English or French. The literal translation is "life-lie", and also "the basic lie" and "the pet illusion" have been used. In French the expression is merely "vivre dans un mensonge" which is correct but fails to convey the severity of the condition. In Italian the expression is "menzogna vitale". When the foundational illusion is exposed, everything crumbles.

Yossi Aviram tells two stories in this film that is, however, not story-driven. This is not a well made play. The considerable dramatic potential remains unexploited because the director's focus is elsewhere.

There is the story with epic historical resonance, the trial of an elderly Nazi executioner, who has been hiding all along in Israel, living a life of a respected hero and Captain of the Israel Defense Forces. (This story was inspired by a real life model). Nobody could guess his past: there is no trace of Nazi demeanor, but the forensic evidence is irrefutable. Hungary refuses to take back the Hungarian-born impostor, and he dies in his cell. His beloved granddaughter is crushed.

At the trial, a suicidal Israeli drifter, Ori (Yona Rozenkier), meets the French author Anna (Valeria Bruni Tedeschi). Ori believes that Anna is his lost lover from 20 years ago in Turin, but Anna has no such recollection. Ori kidnaps Anna to the desert, where she cannot escape, but there is no atmosphere of physical danger. Ori is adamant in his story, until irrefutable evidence exposes even his misconception. The love story was pure imagination.

As a story of memory in which the intimate and the historical intertwine, Il n'y a pas d'ombre dans le désert enters Resnais territory. Yossi Aviram says in the press dossier that the film is about being crushed by a suffering that is not ours, a feeling of perpetual guilt, like a curse that seems to hit both Ori and Anna. All evil falls on them, something that passes generations and comes to haunt them. It is the profile of the second generation. The son feels indebted and escapes into the imagination. The characters write fiction. Ori plunges into this fiction and takes it for real. Il n'y a pas d'ombre dans le désert is a movie about an existential crisis in post-Holocaust distress. The theme of the suicidal second generation makes me think about Chantal Akerman and No Home Movie.

There are several visual registers. The court drama is covered in sober realistic footage. The imagined love affair in Turin 20 years ago is sketched in animation. The desert trek under a full moon expresses purity and liberation from urban confusion. The desert poetry evokes Antonioni (Il deserto rosso, Zabriskie Point, The Passenger). The emptiness is overwhelming. But "an empty page is full of possibilities", says the Japanese poet (Masatoshi Nagase) in Paterson.

BEYOND THE JUMP BREAK: FROM THE DOSSIER DE PRESSE:
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ENTRETIEN AVEC YOSSI AVIRAM
Propos recueillis par Emmanuel Finkiel

Emmanuel Finkiel : Tous les deux nous sommes à peu près de la même génération, ne serait-ce que symbolique par rapport à la Shoah. Dans Il n’y a pas d’ombre dans le désert, le personnage du père et de la mère sont très proches et ressemblent partiellement à mes parents et à ceux qui naviguaient autour d’eux. Et aux tiens ?

Yossi Aviram : Oui bien sûr. Il y a une phrase dans le film que j’apprécie beaucoup, quand Ori dit à Anna : « ton père n’a pas parlé, ma mère m’a parlé tout le temps, mais finalement tous les deux on a grandi coupables. » Je connais très bien ces deux types de comportement. Mes parents sont nés en Israël, ce ne sont pas des rescapés, mais c’est notre histoire, mes grands-parents ont perdu toutes leurs familles, et ça a été très présent dans ma vie. Il y a une autre phrase que je trouve importante dans le film : « on était écrasés par une souffrance qui n’était pas la nôtre. »

E.F : A ton avis qu’est-ce qui lie cette génération ? Et nous par exemple, pourquoi faisons-nous les films que nous faisons ? Pourquoi parlons-nous de la Shoah et pas d’autre chose ? J’ai la sensation que c’est une espèce de mission

Y.A : Je crois effectivement sentir ça dans tes films. Quand je m’interroge, je n’ai pas tellement de réponse. C’est clair que la Shoah a une présence forte dans ma vie, dans notre vie… Cela fait peut-être partie de notre sentiment permanent de culpabilité ? Il faudrait poser la question à nos psys ! Et c’est peut-être cette culpabilité qui est à l’origine de cette mission. Dans le film, c’est comme une  malédiction qui semble frapper Ori et Anna, au sens où tous les maux s’abattent sur eux, quelque chose qui passe les générations et vient les hanter, tout comme cette génération. Ce qui tourmente les personnages, même s’ils sont tout à fait différents, c’est ce qui consume, je pense, une grande partie des gens de cette génération, quel que soit son pays, non ?

E.F : Oui, cette génération semble souffrir de la même névrose, développer les mêmes symptômes. Entre tes deux films (La Dune et Il n’y a pas d’ombre dans le désert), il y a une continuité de fond, comme un flottement autour de l’identité. Dans ce film, il y a ce fils qui se sent redevable et qui s’enfuit dans l’imaginaire. Ce profil qu’on appelle de 2ème génération, ces filles ou fils de parents qui ont parlé ou n’ont pas parlé, reçoivent cette parole ou ce silence et n’ont que leur imaginaire pour se visualiser les choses. Est-ce ainsi que tu le définirais ?

Y.A : Oui. Même s’il n’est pas nécessaire d’être enfant de rescapés pour se servir de l’imaginaire. Mais ce qui caractérise ces deux personnages c’est qu’ils écrivent de la fiction. L’un des deux va encore plus loin puisqu’il plonge dans cette fiction et la prend pour réelle. Peut-être que l’on peut dire que ce qui lie les deux personnages, et qui caractérise la seconde génération c’est qu’ils n’ont pas le droit d’être heureux, ils n’ont pas le droit de vivre leur vie jusqu’au bout. Dans ce film, ils choisissent donc d’aller vers l’imaginaire. Ma note d’intention du film commençait d’ailleurs avec une phrase d’Octavio Paz : « l’art est la preuve que la vie ne suffit pas ». C’est beau, non ?

E.F: Tu as recours à trois ou quatre reprises à l’animation. C’est comme un fil souterrain, une escale du passé à Turin. Pourquoi as-tu eu recours à l’animation ?

Y.A : À l’origine dans le scénario il n’y avait pas d’animation. Je cherchais une manière de faire vivre ce passé, cette histoire qui s’est déroulée ou non, à Turin. J’ai d’abord voulu utiliser des extraits de vieux films avec Valeria. J’ai beaucoup cherché, j’ai regardé une grande partie de ses films, elle a tourné dans pas loin de 90 films ! Mais finalement je n’ai pas retenu cette idée. Puis, un des acteurs qui a lu le scénario m’a dit qu’il fallait peut-être renforcer le sentiment ou l’impression pour le spectateur que la partie qui se déroule à Turin a vraiment eu lieu. J’étais d’accord et j’ai cherché un moyen de le
faire… L’idée de l’animation m’a plu, j’ai senti que ça allait marcher, je fonctionne à l’intuition - puis après, j’essaie de comprendre. J’ai eu peur de le suggérer à Yaël Fogiel, ma productrice ! Quand je l’ai fait, elle m’a répondu : « c’est intéressant, mais voyons ça plus tard ». Tout de suite, j’ai commencé à chercher un animateur. 

E.F : C’est finalement en cohérence avec le propos, à savoir que la première partie en animation illustre ce qu’a écrit Anna, et la seconde partie, la fiction qu’a écrit Ori. Ces deux écrits sont liés par une même esthétique.

Y.A : Exactement. Tu as vu d’ailleurs, que l’animation revient vers la fin, dans l’épilogue ?

E.F : Oui et cela m’a fait penser à Robert Antelme, parce que dans La Douleur, il y a une courte séquence dans laquelle Marguerite Duras voit passer un homme sur le trottoir d’en face, un homme qu’elle attendait et on ne sait pas trop si c’est lui mais une silhouette arrive.

Y.A : Oui, et dans l’épilogue j’espère qu’on se demande si c’est réel ou imaginaire. Je pense que  j’essaie de dire que finalement… ce n’est pas important ! L’imaginaire est plus harmonieux que la réalité ça c’est sûr, et est-ce qu’il est pour autant moins vrai ? C’est pour ça qu’il y a une nouvelle apparition de l’animation dans l’épilogue. De tout façon nous sommes dans un film, ce qui relève par définition de l’imaginaire.

E.F : Ces scènes de Turin équilibrent bien l’ensemble du récit. J’ai été plus généralement touché par la cohérence du fond et de l’esthétique du film que j’ai trouvé très maîtrisée. Parfois, la forme des films est à la traîne du récit, elle ne sert qu’à raconter l’histoire. Et dans certains films tout s’imbrique et tu ne sais plus trop si l’histoire est racontée par le récit, les dialogues ou par la forme. Et c’est le cas du tien

Y.A : Il y a plein de choses dont je suis content, même si très sincèrement, je me sens un peu frustré par rapport à mon style cinématographique. Dans ce film justement, j’aurais pu faire beaucoup mieux. Je voudrais que mes films ressemblent un peu aux films que j’adore ! C’est notre vieux désir de cinéphiles, non ?

E.F : Si j’ai bien compris, le scénario a été écrit avec Valeria. Comment s’est passée cette collaboration ?

Y.A : Ça été une sorte de… rêve qui se réalise. En 2003, Il est plus facile pour un chameau est l’un des premiers films français que j’ai osé voir sans sous-titres anglais. Je ne connaissais absolument pas le nom de Valeria Bruni Tedeschi, les films dans lesquels elle avait joué n’ayant pas été distribués en Israël. Je suis immédiatement tombé amoureux d’elle ! Je me souviens du chemin de retour depuis le cinéma l’Entrepôt à Paris… Jeune cinéaste israélien en devenir, je venais de vivre une sorte de révélation. Jamais je ne pouvais imaginer à ce moment-là qu’un jour j’emmènerai Valeria dans le désert israélien, ça, ça relève de l’imaginaire ! Il y a 30 ans, j’ai écrit - avec un crayon ! - un scénario de 400 pages sur un personnage qui habite dans le désert et qui kidnappe une actrice française qui vient au festival de cinéma de Jérusalem. C’était un scénario tout à fait… ridicule et impossible. Quand on a terminé La Dune, j’en ai parlé à ma productrice Yaël, presque comme une blague, mais elle a trouvé que c’était une bonne piste. Comme je l’écoute presque toujours, j’ai raconté cette idée à Valeria qui l’a appréciée également et on a commencé à développer cette histoire. C’est elle qui a proposé l’idée du procès d’un nazi. Ça m’a plu, d’autant que je venais de lire un article intriguant sur un nazi toujours recherché par les Allemands, qui s’était caché en Israël. Sans pouvoir vraiment l’expliquer j’ai senti un lien très fort entre ces questions que le procès allait soulever et les questions qui hantent les deux héros. 

E.F : Et en tant qu’actrice, qu’a-t-elle apporté ? Je trouve qu’elle a quelque chose que le cinéma aime beaucoup et qui est très riche pour les metteurs en scène, c’est qu’elle arrive à signifier beaucoup de choses à la fois… Ce personnage qu’elle a créé, phagocyté par son père, à fleur de peau, est magnifique. On ne doute pas un seul instant que ce soit son histoire.

Y.A : Le film lui doit énormément, je savais qu’elle allait me sauver ! Elle est sans doute la seule qui peut jouer un tel personnage de façon crédible, à la fois une écrivaine parisienne établie et une amoureuse romantique qui se laisse embarquer dans cette aventure imaginaire. Elle est forte et en même temps elle a quelque chose d’une enfant blessée. C’était aussi une expérience fascinante de travailler avec elle, ou plutôt de la regarder travailler, elle propose tellement de possibilités. Elle n’a pas honte de tout essayer, elle convoque des choses que je n’aurai pas imaginées. En tant qu’actrice, elle doit toujours comprendre et sentir la vérité dans toutes les situations, même si on est en retard et que le soleil commence à disparaître, elle ne lâche pas. Mais c’est comme ça qu’elle rend les choses vraies. Je crois qu’elle cherche la vie, elle amène la vie.

E.F: Peux-tu nous parler un peu de Yona Rozenkier (qui interprète le rôle d’Ori), encore peu connu en France ?

Y.A : Yona c’était un miracle pour moi. J’ai longuement cherché un acteur israélien qui parle français et qui puisse correspondre à ce rôle, quelqu’un de fragile qu’on puisse imaginer écrire la nuit mais qui soit aussi « un homme du désert ». Et surtout, je cherchais de la bonté dans ses yeux ! Il y a un vrai danger dans le film, le kidnapping est un acte très violent, je souhaitais donc que l’acteur qui interprète Ori ne dégage aucune violence. Et il y a une grande bonté et générosité qui émane de Yona. Il est comme ça dans la vie. Après des années de recherche, je suis tombée sur son très beau premier film The Dive, car Yona est aussi réalisateur et joue dans ses propres films. J’ai tout de suite su que c’était lui. Le soir même je lui ai écrit un message sur Facebook : « Yona, on ne se connaît pas, mais j'ai besoin de toi ! ». 

E.F: A un moment donné, ton film m’a évoqué le film Vacances à Venise de David Lean, la scène dans laquelle on voit Katharine Hepburn qui boit un café, seule à une terrasse. Tout à coup, elle sent quelque chose dans son dos et elle met un temps fou à aller à la source du regard qu’elle sent sur elle, c’est un type qui la regarde avec désir. Ce que fait Valeria dans la même situation, dans la salle d’audience, quand elle sent que Yona la regarde, est magnifique. Cela raconte beaucoup de choses.

Y.A : Oui, je pense que ça évoque peut-être que ce personnage n’a pas osé être heureux, ne vit pas pleinement sa vie. Elle vit en attendant toujours une vie à venir... On pourrait se dire que les gens qui n’attendent pas une nouvelle vie ne sentent pas le regard dans leur dos ! Cette sensibilité, elle représente aussi le personnage.

E.F: Parle-nous un peu du désert. D’une certaine manière, le désert était déjà présent dans La Dune mais là il y est pleinement. Une grande partie du film s’y passe, ainsi que la résolution. C’est un lieu tragique, là où le désir des deux personnages s’anime.

Y.A : J’aime profondément le désert depuis ma jeunesse. J’y fais beaucoup de randonnées, j’ai même été guide. J’ai la sensation que le désert remplit l’âme. Je ne peux pas dire exactement pourquoi. Parce qu’il est vide ? Parce qu’il est beau ? Parce qu’on y voit très loin ? Pour moi le désert n’est pas une métaphore, juste un amour profond. Il est… presque sacré. Ma grand-mère hongroise n’a connaît pas, mais j’ai besoin de toi ! ». On ne l’a pas gardée parce que ça nous semblait artificiel dans la bouche du personnage, mais j’aime toujours cette phrase.

E.F : C’est l’endroit où pour la première fois du film, on sent les personnages libres, comme dégagés d’un poids. Ils sont comme nettoyés de la chose qu’ils trimballent avec eux. Le désert semble vierge, c’est une manière pour eux de se détacher de leurs racines. C’est libérateur.

Y.A : Oui, Tout à fait !

E.F: L’une des plus belles choses qui est dite dans le film, c’est quand le père d’Anna balbutie dans une conversation « qu’est-ce qu’il y a à raconter, il n’y a rien à raconter. » Pourtant Anna voudrait entendre l’histoire de son père, les détails, elle tient plus que tout à ce procès. Elle qui a compensé en se réfugiant dans la fiction, elle veut du réel, mais est-ce au moins possible ? Dans la dernière partie, elle est rattrapée par le réel, le désert c’est le réel.

Y.A : Tu dois connaitre ce sentiment. Quand on écrit un scénario, on est tellement dedans qu’on arrive presque à la limite où la fantaisie nous envahit, c’est ce qui arrive à Ori, mais lui, il va plus loin… Ce qui est beau je trouve, c’est qu’Anna « accepte » de « rejoindre » sa fiction à lui. Ou plutôt, elle trouve sa fiction vraie ! Ils se rejoignent finalement, dégagés de toute fiction, ici et maintenant l’un face à l’autre.

E.F: Encore un mot sur les parents dans le film. Jackie Berroyer qui interprète le père de Valeria donne corps et chair à tout ce qu’il ne veut pas dire et le couple qu’il forme avec sa fille est très beau.

Y.A : Quand j’ai proposé le rôle à Jackie, il m’a dit : « tu sais qu’il y a dix ans, on me proposait de jouer l’amant de Valeria ! » C’est Marion Touitou, la directrice de casting, qui a eu cette idée assez inattendue car il ne correspond pas forcément au stéréotype d’un personnage de vieux déporté, mais il est très touchant et fragile, je trouve.

E.F: Et qui joue le bourreau ?

Y.A : C’est mon père ! Qui est l’acteur le plus mauvais qui existe ! Je te jure. Je devais tout le temps lui répéter « ne joue pas, ne regarde que moi et ça ira ! » Quand on l’a choisi, mon frère m’a tout de suite dit que j’étais complètement pervers. Mais j’ai répondu que c’est tellement loin de la réalité que ce n’est même pas pervers. Mon père l’a pris avec humour, pour lui c’était un cadeau, c’est ma mère qui me l’a dit après le tournage. Pour nous deux. Mon père est médecin, il a aussi dirigé des hôpitaux, un homme sérieux quoi… J’étais content qu’il vienne sur le plateau et il a enfin pu découvrir que le cinéma c’est quand même un métier. Ma fille aussi joue dans le film. Elle qui est habituée à me voir tout déprimé et seul pendant l’écriture, elle a enfin pu voir son père un peu plus énergique et sociable.

E.F: C’est très fort d’avoir pris quelqu’un dont le visage ne reflète absolument pas ce qu’on lui  reproche. C’est souvent d’ailleurs ce qui vient à l’idée quand on voit les procès de grands bourreaux. Le profil dessiné par l’imagination quand il veut imaginer le mal est toujours loin de la réalité. C’est d’ailleurs là que ça se situe.

Y.A : J’ai beaucoup regardé des extraits de procès et de films sur les procès d’Eichmann et de Demjanjuk. Quand on regarde Eichmann par exemple, cela ne correspond pas à l’image qu’on se représente de celui qui a pu faire ce qu’il a fait. C’est bien là où se situe souvent la question, où se loge le mal ? Il ne se voit pas, il n’a pas comme dans les mauvais films, la tête de l’emploi. Mais pour mon film, l’expérience est plus proche du procès de Demjanjuk. Contrairement à Eichmann, on ne savait pas s’il était coupable ou non. C’est très intrigant, on regarde son visage et son expression totalement indifférente pendant le procès et on essaye de décider s’il est coupable ou non… Est-ce que c’est ça, le visage du mal ? ■

Paris, janvier 2024

LISTE ARTISTIQUE
Anna Valeria Bruni Tedeschi • Ori Yona Rozenkier • Batya Germaine Unikovsky • László
Jackie Berroyer • Petit fille de l’accusé Roni Alter • Ruth Merav Shirom • Hanoch
Yoel Rozenkier • Sophia Fantine Gelu • Maya Alma Aviram • Amir Itay Ben Ami •
Maitre Flumin Menahem Lang • Maitre Weinstock Zohar Wexler • Docteur Jenkins
Margeaux Lampley • L’infirmière de jour Mai Weisz • L’infirmière de nuit Cordelia
Lange • Policière hôpital Shiraz Tsarfat • Voisins de l’accusé Edme Bismuth, Armndo
Bismuth • Policière désert Alona Nahmias • Policier désert Aviv Telem • Pianiste Uri Falk
Et Alexander Aviram dans le rôle de l’accusé

LISTE TECHNIQUE
Réalisé par Yossi Aviram • Écrit par Valeria Bruni Tedeschi et Yossi Aviram en collaboration
avec Alexandre Manneville et les conseils de Agnès de Sacy • Image Damien Dufresne • Montage
Thomas Marchand • Son Pierre Bompy, Agathe Poche, Simon Apostolou • Décors et Costumes
Virginie Noël • Direction artistique Israël Alma Fogiel • Costumes Israël Carmel Meir • Casting
Israël Maya Kessel • Maquillage Mélodie Ras • Étalonnage Isabelle Julien • Animations Sariel
Keslasi • Musique originale Winter Family, Xavier Klaine, Ruth Rosenthal et Olivier Robert
Produit par Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez • Coproduit par Yoav Roeh, Aurit Zamir, Farid
Rezkallah, Annie Ohayon • Direction de production Martin Bertier • Une production Les Films
Du Poisson • En coproduction avec 24 Images et Gum Films • Avec le soutien du Centre National
du Cinéma et de L’Image Animée de La Région Pays de la Loire en partenariat avec le CNC
et de La Fondation Pour La Mémoire de la Shoah • Avec l’aide à l’écriture de Ciclic - Région
Centre Val de Loire • Avec la participation de Ciné+ et Cinémage 16 et de La Procirep - Société
des producteurs et de l’Angoa • Distribution et ventes Internationales Les Films du Losange

YOSSI AVIRAM

Né en 1971 à Jerusalem. Formé à la Sam Spiegel Film & Television School de Jérusalem où il en est sorti avec les honneurs en 2000, Yossi Aviram partage sa jeune carrière entre des postes de chef opérateurcadreur et ses propres réalisations.

En 1998, dans le cadre de l’année de l’Israël en France, il participe à un échange culturel avec la Fémis.
Pendant les quatre semaines que dure le séjour, il réalise son second court-métrage de fiction, Anna.
Par la suite, il réalise et cadre plusieurs documentaires dont The Polgar variant et Deux vieux garçons,
(Paris Return) qui a été diffusé sur Arte en mars 2010.

La Dune, son premier long-métrage de fiction pour le cinéma, avec Niels Arestrup, Lior Ashkenazi,
Mathieu Amalric, Guy Marchand, Emma de Caunes, est sorti en août 2014. Tourné en Israël et en France, La Dune est coproduit par Lama Films et Les Films du Poisson. Le film a gagné le Prix du Meilleur Premier Film à Haifa et a été diffusé dans une douzaine de festivals à travers le monde.
Il n’y a pas d’ombre dans le désert est son deuxième long métrage, co écrit avec Valeria Bruni Tedeschi.

RÉALISATEUR

2024 - Il n’y a pas d’ombre dans le désert • 2017 - Il était une fois “Le Procès de Viviane Amsalem”
51 min, documentaire • 2014 - La Dune • 2014 - The Polgar Variant 70 min, documentaire • 2009 - Deux vieux garçons (Paris Return) 70 min, documentaire • 2003 - A few days 48 min, documentaire • 1999 - Anna 18 min, fiction • 1998 - In the City 26 min, documentaire - Co-realisé avec Alma Fogiel

SCÉNARISTE

2011 - Under the Same Sun (long-métrage cinéma) Réal. Sameh Zoabi
« ton père n’a pas parlé, ma mère m’a parlé tout le temps, mais finalement tous les deux on a grandi coupables. » « on était écrasés par une souffrance qui n’était pas la nôtre. »

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