Sana Na N'Hada: Nome (Guinea-Bissau 2023) with Marcelino António Ingira (Nome) and Binete Undonque (Nambu). |
Guinea-Bissau/FR/PT/Angola 2023. PC: Lx Filmes (Portugal) / Spectre Productions (France). P: Luis Correia (Lx Filmes), Olivier Marboeuf (Spectre Productions). Co-PC: Geba Films (Guinea-Bissau) / Geração 80 (Angola), avec la participation de The Dark, avec le soutien ICA – Instituto do Cinema e do Audiovisual. Co-P: Suleimane Biai (Geba Films), Jorge Cohen (Geração 80) – et Cédric Walter (The Dark). Productrice exécutive: Paula Oliveira. Directeur de production: Alberto Cardoso.
D: Sana Na N'Hada. Argumento: Virgilio Almeida, Olivier Marboeuf - a partir de uma ideia original de Sana Na N'Hada. 1er Ass D: Ángela Sequeira. Cin: João Ribeiro - colour and b&w - HD & 16 mm UGCE. AD: Jose Carlos Victorino. Cost: Lucha D'Orey. Makeup: Emmanuelle Fèvre. SFX: Pierre-Étienne Davy. M: Remna Schwarz. S: Tristan Ponotécaille - 5.1. ED: Sarah Salem. Diretor de casting: Jorge Quintino Biagué. Étalonnage: Paulo Américo da Silva.
C: Marcelino António Ingira (Nome), Binete Undonque (Nambú), Marta Dabo (Cuta), Helena Sanca (Quiti), Paolo Intchama (Tó), Abubacar Banóra (Espírito), Ninha Lúcia Lopes (Djalam), Jorge Quintino Biagué (Sem Pescoço), Mário Paulo Mendes (Togara), Vladmir Mario Vieira (Tué), Oksana Isabel (Buinhi-Deusdada), Ernesto Nambera (Djila), Riquelme Bica (Raci), Bacari Dabo (Raci 17 anos), Maminha Brandão (Sompy), Minésio N'cada (Dam), Jorgina Barai (Adá), Adelsio M. Biagué (Tchena), Papa Lopes (child), Cadi Sanhá (Ausenda), João Carlos Calon (Fiscal Alfãndega), Justino A. M. Neto (enterrador / croque-mort / undertaker).
Languages: Guinea-Bissau Creole, Portuguese.
118 min
Festival premiere: 25 May 2023 Cannes
27 Jan 2024 Rotterdam
French premiere: 13 March 2024 - released by The Dark
Viewed at Reflet Médicis, Salle 2, 3 rue Champollion, 75005 Paris, samedi le 16 mars 2024
AA: An engrossing tale of the battle for the liberation and independence of Guinea-Bissau during the last stretch of old-school colonial rule. Amílcar Cabral (1924-1973) was the lighthouse, the charismatic inspirer of the resistance against Portuguese oppression. Nome is a fitting jubileum and memorial to the Carnation Revolution in Portugal on 25 April 1974, 50 years ago. I was moved to hear on the soundtrack "Grândola, Vila Morena" by José Afonso. I was singing it, too, at the time. I even bought a Portuguese grammar to study the language.
This is the first film I see by Sana Na N'Hada, but Nome is so intelligent, complex and emotionally engaging that I look forward to see the rest of his films, as well as the work of Flora Gomes, his agemate and colleague.
Nome starts in the jungle in traditional village circumstances. Nome is an anti-hero, a regular rootless guy whose coming of age story the movie is. At the same time it is a coming of age drama of Guinea-Bissau. Young men treat women irresponsibly and leave them in trouble with fatherless babies. Women become carriers of responsibility in thankless circumstances.
War is a calling for the young people fighting for independence. It is also a way to evade duties of family and hard work.
Sana Na N'Hada weaves in the narrative dimensions of powerful realism, a passion for animism and a love of traditional arts and crafts.
The pulse and drive of music is central, and the instrument of the bombolon has an important role. Bombolon rhythm doubles as a call to party and a call to fight. The wonderful composer Remna Schwarz is the son of José Carlos Schwarz, a leading musician during the liberation period.
Nome is beautifully shot. The sensual touch is appealing. There are passages that belong to the domain of the avantgarde and the experimental. As well as the documentary and the animation.
The temporal span of the Nome is long, and we reach the time of the liberation. Again, difficulties of the plains follow the difficulties of the mountains. Les héros sont fatigués. The startling and honest final section of the movies lifts it to a special epic level. We witness Nome and his resistance friends turn into gangsters. Professionals in killing and violence, they establish a system of organized crime. Heroes turn into villains. The movie becomes a devastating exposé of corruption in a newly liberated country.
Nome is interlaced with many authentic documentary inserts, filmed at the time by Sana Na N'Hada, Flora Gomes, Josefina Lopes Crato and José Bolama who Amílcar Cabral sent to Cuba to learn cinematography and document the liberation back home. Conserved during difficult periods in terrible conditions, the visual quality of the surviving films originally shot on 16 mm is often dismal. Nevertheless they are priceless documents of a noble fight. The sources are duly credited in the end credits.
BEYOND THE JUMP BREAK: DATA FROM THE PRESS KIT:
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CONTEXTE
La Guinée-Bissau est un pays d'Afrique de l'Ouest lusophone et créolophone, limité au nord par le Sénégal, à l'est et au sud-est par la république de Guinée. Petit pays de la taille approximative de la Belgique, la géographie de la Guinée Bissau est remarquable par l’entrée de l’océan Atlantique dans la « bouche » du continent. Les mélanges d’eau douce et d’eau salée font des rivières guinéennes des écosystèmes d’une richesse unique au monde, comprenant d’imposantes mangroves qui abritent une importante biodiversité. Le pays est prisé de ce fait notamment pour la pêche de loisir. Au large, une soixantaine d’îles composent l’Archipel des Bijagos qui accueille des communautés indigènes connues pour leur pratique ancestrale du vaudou et organisées selon le principe du matriarcat.
Territoire historiquement peuplé par de très nombreux groupes ethniques de la région, il est, à partir du XVII siècle, dominé par le royaume indépendant du Gabu. À la même époque, le Portugal loue plusieurs terrains en bordure de fleuves sur lesquels il établit des comptoirs, notamment à Cacheu, Bissau, Farim, Geba. En 1867, le royaume de Gabu est vaincu par l'armée de la confédération peule et musulmane du Fouta Djalon. La région devient une colonie portugaise en 1879 puis une province ultramarine en 1951.
En 1963, éclate une guerre de onze ans qui oppose l’armée coloniale portugaise aux partisans du leader Amilcar Cabral, fondateur du Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-vert (PAIGC) soutenu par l’Union Soviétique. La révolution des œillets au Portugal marque la fin de la guerre et l’indépendance du pays en 1974, un an après l’assassinat d’Almicar Cabral. C’est son demi-frère, Luis Cabral, qui sera le premier président de la Guinée-Bissau libre avant que le putsch militaire de 1980 amène au pouvoir Nino Vieira. Des années 80 à nos jours les années d’instabilité politique et économique se succèdent dans un pays qui a perdu avec la guerre d’indépendance une large part de son autonomie alimentaire basée sur l’agriculture.
Le pays s’enfonce dans la crise et devient l’une des plaques tournantes de vastes réseaux mafieux gérant notamment le tourisme sauvage - pêche - et le trafic de drogue. D’importants projets d’installations industrielles voient le jour ces dernières années - et notamment le plus grand port d’Afrique. Des investisseurs internationaux affluent dans la région où l’influence islamique se renforce - dans un pays historiquement animiste - à la faveur d’investissements par les émirats dans des infrastructures d’exploitation du pétrole off shore.
Malgré sa pauvreté et sa petite taille, la Guinée Bissau reste donc aujourd’hui encore un carrefour unique des échanges internationaux.
ENTRETIEN AVEC SANA NA N'HADA, REALISATEUR DE NOME
Quel est l'origine du nom du film Nome ?
Sana na N’hada : Nome fuit son village par peur du déshonneur. Après avoir mis en enceinte une jeune femme, il décide de partir. C'est d’abord la lâcheté qui le mène à la guerre. Sans cela, il ne se serait jamais retrouvé dans la guérilla. À cette époque, chacun de nous avait une raison de partir à la guerre. Il y a des gens qui partaient à cause de leurs engagements révolutionnaires, d'autres pour fuir la répression coloniale des Portugais. Mais beaucoup étaient comme Nome et se retrouvaient face à des situations qui les obligeaient à fuir leur milieu. D’autres personnes ne sont pas parties à la guerre, mais c’est la guerre qui est venue les chercher. Pour moi, c'était à Enxalé, en plein sommeil, dans une hutte en feu. On pouvait donc fuir et se retrouver à la guerre pour beaucoup de raisons, mais dès qu’on décidait de se saisir d'une arme, on entrait dans la lutte pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert et on acceptait d'y donner sa vie, son corps.
Nome, c’est un homonyme. C’est une manière de dire que la guerre était l'affaire de tous. C’est le nom de tous ceux qui ont rejoint la guérilla. Nous sommes venus des quatre coins du pays. Il y avait des pêcheurs, des éleveurs, des agriculteurs, etc. C’est toute la société qui a participé à ce combat. Même si plus tard, nous avons malheureusement abandonné le pays à quelques hommes d'affaires. Amílcar Cabral nous soudait et il donnait à la lutte une portée noble. Il croyait dans l'union. Sa mort a sonné la débandade. Après l’Indépendance est venu le temps des guerres civiles. L'agriculture, le système de soin… tout s'est écroulé.
Pourquoi avoir choisi la fiction pour raconter cette histoire que vous avez, en partie, vécue ?
S.N : Nome est mon troisième long métrage. Avant cela, j'ai surtout réalisé des documentaires. Nome fait partie d'un projet de triptyque que je voulais réaliser à propos de la guerre. Xime (sorti en 1994) était la première partie et se concentrait sur le destin d'une famille guinéenne dont l'environnement se trouvait bouleversé par l'arrivée de la guerre. Le second film devait porter sur ce qu’avaient subi les Guinéens pendant le conflit, mais ce projet n'a jamais abouti. Nome est une sorte de synthèse entre ce qui s’est passé pendant et après la guerre.
J'avais entre 15 et 16 ans lorsque j'ai été recruté pour un stage d'infirmier par les guérilleros. La réalité de ce que fût la guerre ne pourra jamais être saisie, car elle a donné lieu à tellement d'histoires souvent terribles. La fiction m'a permis de rassembler au même endroit beaucoup de personnes et d’évènements différents. Raci, c'est mon enfance, Cuta ressemble à une de mes tantes à qui on attribuait des dons de clairvoyance. Quiti, c'est moi aussi durant la guerre, lorsque j'étais chargé de transporter et de soigner les soldats. Nome est un film choral, il m’a permis à travers ces personnages de dresser le portrait de la société guinéenne. Et dans cette société, il se passe plusieurs choses en même temps.
Dans Nome, cohabitent plusieurs mondes et temporalités guinéennes : la campagne et la ville, la vie quotidienne et le temps ancestral des esprits. D’un côté l’enfant Raci qui cherche à rétablir l’équilibre du village en construisant un nouveau bombolon, de l’autre Nome qui s’enfuit de ce même village et rêve de devenir un notable de la ville...
S.N : Amílcar Cabral disait " Nous sommes une société de vivants et de morts".
La guerre nous a fait faire un saut dans le temps psychologiquement assez vertigineux. Dans mon enfance, nous étions plus proches de nos coutumes. Notre société était une société ancestrale où tout le monde croyait qu'il y avait là-haut quelque chose que l’on appelle Dieu dans beaucoup de langues, mais qui, ici-bas, dans la forêt ou les rizières, s’appelait le monde des esprits. Alors les hommes allaient demander à ces esprits d'intervenir pour régler leurs problèmes. Aujourd'hui, même si les Guinéens se disent chrétiens, musulmans ou agnostiques, cela ne veut pas dire qu’ils ne sont plus animistes. Il y a chez nous un fort syncrétisme. Et quand vient la nuit, nous ne pouvons renier d’où nous venons. Les gens ont des pratiques rituelles ancestrales. Ces croyances forment le terreau de la culture guinéenne qui accepte facilement le mélange. Mon film reflète cela ; cette idée de cohabitation fait partie de l'esprit guinéen. Nous n’avons pas besoin de parler la même langue pour nous marier. Nous le faisons puis apprenons la langue de l'autre. C'est une habitude très ancienne.
Par ailleurs, nous considérons que les gens ne meurent pas. Pour nous, les esprits sont des d'âmes damnées qui errent parce que les vivants n'ont pas pu faire les rituels de deuil ancestraux qui leur permettent de partir en paix. Dans le film, Esprit est ainsi en errance. Il attend et continue de hanter le monde des vivants. C'est un devoir pour chaque Guinéen de faire pour ses morts la cérémonie du tchur. Les morts t'imposent la voie à suivre et on ne doit pas les offenser.
Quel était le rôle du cinéma dans la lutte d’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert?
S.N : Cabral avait décrété que toutes les personnes qui savaient lire devaient apprendre à ceux qui ne le savaient pas. C'est comme ça que je suis parti enseigner dans un village aux côtés des gens qui luttaient contre les Portugais. Là, j'aurais pu devenir enseignant, mais je n’ai pas pu me déplacer à Conakry, via le Sénégal, pour faire le stage de formation. Je me suis donc retrouvé très jeune dans un hôpital de campagne. Là-bas, ils voulaient des gens capables de se battre, des hommes formés. Et moi, je n'avais ni la carrure, ni l’âge. Au bout de deux ans, on a fini par m’envoyer me former au cinéma à Cuba. Je n'avais jamais vu un film. Je n'avais même aucune idée de ce que cela pouvait être. Les seules images que je connaissais c'était celles de Jésus Christ.
Cette histoire de cinéma a commencé en fait un peu plus tôt, en 1964, quand Mario Marret, un cinéaste français, est venu tourner en Guinée-Bissau. C’était l’un des premiers étrangers à mettre les pieds dans le pays. On retrouve d'ailleurs certains de ses images dans Nome. Par la suite, beaucoup d'étrangers sont venus pour voir ce qu'il se passait ici, des Français, des Cubains, des Italiens, des Soviétique, des Suédois, des Anglais. Cabral a alors décidé qu'on allait faire nous aussi du cinéma pour sensibiliser l'opinion internationale à notre cause. Au même titre qu'on désignait ceux qui allaient se consacrer à la médecine, il a choisit un petit groupe dont je faisais partie (avec Flora Gomes, Josefina Lopes Crato et José Bolama) et on nous a envoyé à Cuba. C’était en 1967, j’avais 17 ans. Nous avons fait le lycée en accéléré puis nous avons étudié à l'institut Cubain des Arts et Industries Cinématographiques. Je suis revenu dans mon pays en tant qu'opérateur caméra et preneur de son en 1972. Cabral avait une vision très claire de ce qu’il voulait faire : filmer la naissance de la Guinée-Bissau indépendante et soutenir par l’image la construction de notre futur pays. Nous étions quatre petits jeunes cinéastes. La tâche paraissait immense. Nous avons donc filmé au quatre coins du pays durant trois ans et n'avons vu le résultat de ce travail que cinq ans plus tard. Ces archives ont été exposées aux intempéries par la négligence des autorités et ont étés partiellement détruites. Il n’en reste que 40% aujourd’hui.
Vous avez également mis un fort accent sur le langage du son et de la musique dans le film. Le Bombolon annonce les conflits et la musique nous replonge dans une certaine ambiance de l’époque, à la fois joyeuse et mélancolique.
S.N : Remna Schwarz est le compositeur de la bande originale du film. C'est le fils de José Carlos Schwarz. José Carlos Schwarz était à l'époque un musicien très populaire chez nous. C’était aussi un militant en contact avec la PAIGC, qui a vécu dans la clandestinité. C'était un homme audacieux, ses chansons étaient très populaires dans la guérilla, car il maniait le double sens à la perfection. Si les Portugais n'y voyaient que du feu, les Guinéens eux comprenaient et l'appréciaient. Les chansons de José parlaient de leur quotidien : la guerre, la torture, le deuil des femmes en noir. On retrouve dans Nome une inspiration directe de l’esprit musical de José dans un personnage comme To, par exemple, qui choisit la solitude et l'anonymat pour ne pas perdre son intégrité. J'ai connu José Carlos Schwarz personnellement à la fin du conflit. Nous fréquentions tous les deux le milieu culturel à Bissau. C’était homme très sociable, ami avec tout le monde. La veille de son départ pour Cuba où il venait d'être nommé comme diplomate, il est venu me saluer. C'est à ce moment que j'ai réalisé qu'il éprouvait une sincère sympathie pour moi. Le lendemain, j'ai appris que son avion s'était écrasé avant d'atterrir à la Havane. Nous avons demandé à son fils, Remna, qui est lui-même musicien, de composer les musiques du film à la manière de son père. C’est une forme d’hommage. Comme les chansons de José Carlos, le bombolon a une fonction à double-sens dans le film. C'est une percussion issue des cultures et traditions animistes, présente dans beaucoup de pays d'Afrique. En Guinée-Bissau, le bombolon sert principalement à communiquer, à annoncer des nouvelles, bonnes ou mauvaises. A l'époque de la lutte armée, les jeunes du PAIGC s'appelaient avec cet instrument. Ils faisaient ainsi croire au Portugais qu'ils allaient se divertir, alors qu'il s'agissait en fait de réunions politiques.
D’où viennent les acteurs et comment avez-vous travaillé pour les faire entrer dans cette histoire que nombre d’entre eux ne connaissaient pas ? Vous portez d’ailleurs une attention particulière avec vos personnages à la diversité ethnique de la Guinée-Bissau mais aussi à l’union au-delà des différences que portait en elle la révolution voulue par Amilcar Cabral.
S.N : La majorité des personnes qui jouent dans le film ne sont pas des professionnels. Nombre d’entre elles est issu de troupes de théâtre amateurs. Marta Dabo (Cuta), par exemple, est membre de la compagnie "Teatro Lanta"; même si elle a aussi déjà participé à d'autres films. Seule Binette Undonque (Nambu) est une comédienne confirmée. J’avais déjà travaillé avec Marcelino António Ingira (Nome) sur mon film précédent Kadjike. Il avait un petit rôle de commerçant. Alors que nous faisions nos premières répétitions pour Nome et que je cherchais encore mon personnage principal, j’ai pensé à lui. J'ai l'habitude de préparer mes films sur de très longues périodes. Pour Nome, nous avons répété sur plus de douze mois. De temps en temps, lorsque l'occasion se présentait, et que je me trouvais à Bissau, je faisais réunir les personnes intéressées par le projet. Au départ, peu de rôles sont attribués. Ce sont les répétitions qui permettent de déterminer qui jouera qui. Pendant ces moments de travail, je m'efforce d'expliquer à tout le monde ce que j'ai en tête, ce que les personnages ont en tête, ce que j'attends d'eux, le contexte. Avec Flora Gomes, comme nous sommes les deux seuls réalisateurs de fiction en Guinée-Bissau, nous nous efforçons de rappeler des gens qui ont déjà joué pour nous afin de contribuer à faire naître des vocations.
Nome a été tourné en langue créole. C'est un véritable choix car lorsque j'étais petit, on nous interdisait de parler créole dans la salle de classe. J’ai appris à lire, à écrire et à compter en portugais, alors que ma langue maternelle est le balante. Si le portugais était la langue de l'école, en dehors, il n'avait pas autant d'importance. En Guinée, on ne peut pas faire plus de trois kilomètres sans rencontrer quelqu'un qui parle une autre langue. Je parle moi-même quatre ou cinq langues. Les langues et les noms autochtones permettent de déterminer d'où viennent les personnes. C'est très important. La guerre a permis des rencontres. C'est pour montrer cette diversité que les personnages du film nous disent d'où ils viennent à travers leurs prénoms.
Dans sa nature, la Guinée est un terreau multiculturel, les gens se marient entre ethnies. Le créole était au départ surtout parlé au centre nord et à l'ouest du pays, là où l'on trouvait les Portugais. Au début de la lutte, les réunions étaient traduites en plusieurs langues locales simultanément. C’était très long et épuisant. Pour des besoins d’efficacité, la lutte armée a donc contribué à étendre l'usage du créole, car les militants du PAIGC qui venaient de Bissau, le parlaient majoritairement. Aujourd'hui, le créole est la première langue de la Guinée Bissau devant le portugais.
Dans NOME, des images d’archive viennent progressivement dialoguer avec la fiction. D’où viennent-elles ?
S.N : Nous sommes revenus de Cuba le 7 Janvier 1972, et avons commencé à filmer la même année. Nous avons retrouvé Cabral à Conakry, qui était la base arrière du PAIGC. Il a présenté au reste du réfectoire notre petit groupe de quatre. Il disait à tous que nous allions réaliser l'Histoire de notre lutte, nous, qui n'étions encore que des gosses. Les guérilleros étaient circonspects. La même année, nous avons filmé Cabral à l'inauguration d'une exposition consacrée aux neuf années de luttes en Guinée-Bissau, un événement auquel ont assisté de nombreuses personnalités de l'époque. Le PAIGC nous avait équipé de caméras Beaulieu R16, de 16mm. À cette époque, Dakar nous servait de base. Nous partions filmer la guérilla et revenions chaque week-end. Treize mois avant la fin du conflit, nous avons décidé de ne plus revenir et de rester sur le terrain. Nous transportions désormais partout avec nous nos bobines de pellicule. Les gens que nous rencontrions étaient très fatigués, sans vêtements, ni chaussures, nous vivions dans des conditions difficiles. Nous étions chargés par Cabral d'aller filmer la vie quotidienne des Guinéens en passant un mois sur chaque front. Notre mission était de lui rapporter tout ce matériau, un an plus tard, en 1973. L'idée était d'archiver la naissance de l'Etat indépendant et libre de Guinée-Bissau. Nous avons filmé des élections de conseillers régionaux, les combats, les campagnes et les agriculteurs, l'éducation, les écoles, etc. Mais Cabral a été assassiné avant que nous ayons pu lui rapporter nos images. A la fin de la guerre nous avons créé un Institut National de Cinéma avec pour mission de contribuer à représenter la diversité du pays. Nous voulions documenter les usages et coutumes de chaque groupe afin de renforcer la cohésion nationale. Nous avons filmé de 1972 à 1977, cinq ans sans voir une image de ce que nous faisions. En 1977, les Suédois ont développé nos pellicules. J'ai été chargé d’aller sur place pour rendre compte de leur état de conservation. Nous avions plus de cent heures de films. Cependant, beaucoup étaient déjà perdues beaucoup car les bobines n'avaient pas été conservées correctement. Sur les cent heures, il ne nous en restait en fait plus que quarante. Je ne sais pas si c'était une si mauvaise chose, car nous avions filmé des évènements effroyables pendant la guerre qu'il valait peut-être mieux ne plus revoir. Le ministre m'a autorisé à sélectionner des bobines. C'est avec ces images que nous avons réalisé notre premier court-métrage avec Flora Gomes, Le retour de Cabral. Ce film a été une manière de finir symboliquement la mission que Cabral nous avait confiée.
Comment pensez-vous que ce film sera reçu en Guinée-Bissau aujourd’hui ?
S.N : Je ne m'attends pas à être ménagé, ni à être reçu en héros ! Je ne pense pas que beaucoup de Guinéens recevront ce film avec enthousiasme car, je parle aussi d'un échec. Un échec dont nous sommes tous responsables, dont nous sommes tous coupables, car nous avons voulu un pays, mais lorsque nous l'avons eu, nous nous en sommes désintéressés. En Guinée, on me reproche de toujours parler de la guerre. Ce fut un moment terrible et je ne veux pas passer ma vie à en faire le récit. Je le fais néanmoins car la guerre nous a beaucoup coûté, en sang, en sueur, en faim, en sacrifice, en deuil, en haine car on continue de se haïr encore aujourd'hui et de s'entretuer. Je le fais aussi parce que l’Histoire contemporaine de la GuinéeBissau est absente des manuels scolaires. Les jeunes guinéens ne savent pas d'où ils viennent. Parfois je vais montrer des films et des images d'archives dans les villages. Beaucoup sont curieux car ils ne connaissent pas l'Histoire de leur pays. ❈
BIOGRAPHIE
Sana Na N’Hada est né en Guinée-Bissau en 1950. Envoyé à Cuba par le leader révolutionnaire Amilcar Cabral avec quatre autres apprentis cinéastes, il étudie à l’Institut Cubain des Arts et Industries Cinématographiques. A son retour en Guinée, il filme la guerre d’indépendance. Son cinéma va se construire par la suite dans des allers retours entre la mémoire de l’occupation portugaise, les luttes d’indépendance et une méditation sur la destruction des sociétés traditionnelles en Guinée-Bissau – et avec elles, d’un modèle écologique où l’homme accepte les puissances d’une nature à laquelle il sait appartenir. C'est son retour à Cannes après 30 ans, son film Xime ayant présenté en Sélection Officielle à Un Certain Regard en 1994!
FILMOGRAPHIE
1976 : O retorno de Cabral / court métrage co-réalisé avec Flora Gomes
1976 : Anos no assa luta / court métrage coréalisé avec Flora Gomes
1978 : Les jours d’Ancono (court-métrage) 1984 : Fanado, un documentaire de 26’.
1994 : Xime (Long-métrage / fiction) – Sélection Officielle / Un Certain Regard / Cannes 1994
2005 : Nossa Guiné (documentaire, 52 min)
2005 : Bissau d'Isabel (documentaire, 52 min)
2014 : Kadjike (long-métrage / fiction)
2015 : Os escultores de espíritos (documentaire)
FICHE ARTISTIQUE
NOME
UN FILM DE
SANA NA N’HADA
AVEC
NOME I MARCELINO ANTÓNIO INGIRA
NAMBÚ I BINETE UNDONQUE
CUTA I MARTA DABO
QUITI I HELENA SANCA
TÓ I PAULO INTCHAMA ESPÍRITO I ABUBACAR BANÓRA
DJALAM I NINHA LÚCIA LOPES
SEM PESCOÇO I JORGE QUINTINO BIAGUÊ
TOGARA I MÁRIO PAULO MENDES
TUÉ I VLADMIR MÁRIO VIEIRA
BUINHI-DEUSDADA I OKSANA ISABEL
DJILA I ERNESTO NAMBERA
RACI I RIQUELME BIGA
RACI 17 ANOS / ANS I BACARI DABO
SOMPY I MAMINHA BRANDÃO
DAM I MINÉSIO N’CADA
ADÁ I JORGINA BARAI TCHENA I ADELSIO M. BIAGUÊ
CRIANÇA / L’ENFANT I PAPA LOPES
AUSENDA I CADI SANHÁ
FISCAL ALFÂNDEGA I JOÃO CARLOS CALON
ENTERRADOR / CROQUE-MORT I JUSTINO A. M. NETO
FICHE TECHNIQUE
UN FILM PRODUIT PAR
LUIS CORREIA (LX FILMES)
OLIVIER MARBOEUF (SPECTRE PRODUCTIONS)
SULEIMANE BIAI (GEBA FILMS)
JORGE COHEN (GERAÇÃO 80)
ET
CEDRIC WALTER (THE DARK)
ARGUMENTO / SCENARIO VIRGILIO ALMEIDA, OLIVIER MARBOEUF
A PARTIR DE UMA IDEIA ORIGINAL DE SANA NA N’HADA
1ER ASSISTANTE RÉALISATEUR ÂNGELA SEQUEIRA
DIRETOR DE CASTING JORGE QUINTINO BIAGUÊ
DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE JOÃO RIBEIRO
CHEF LUMIÈRE RODRIGO DRAY
CHEF MACHINISTE MANUEL RAMOS (DOS CAVALOS)
CHEF OPERATEUR SON & MONTEUR SON TRISTAN PONTECAILLE
CHEF DECORATEUR JOSE CARLOS VICTORINO
CHEFFE COSTUMIERE LUCHA D’OREY
CHEFFE MAQUILLEUSE EMMANUELLE FEVRE
MONTEUSE IMAGE SARAH SALEM
EFFETS SPECIAUX PIERRE-ETIENNE DAVY
ETALONNAGE PAULO AMÉRICO DA SILVA
MIXAGE DAMIEN TRONCHOT
DOCUMENTALISTE LÉA MORIN
PRODUCTRICE EXECUTIVE PAULA OLIVEIRA
DIRECTEUR DE PRODUCTION ALBERTO CARDOSO
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