Saturday, March 16, 2024

La Vie de ma mère / This Is My Mother


Julien Charpentier: La Vie de ma mère / This Is My Mother (FR 2024) avec Agnès Jaoui et William Lebghil.

FR 2024.
    Société de production : Silex Films
Productrice exécutive : Marie Darel
Productrices déléguées : Priscilla Bertin et Judith Nora
Genre : Comédie dramatique
    Fiche technique
Réalisation : Julien Carpentier
Scénario : Julien Carpentier et Benjamin Garnier
Directeur de la photographie : Martin de Chabeneix
Chef opérateur son : Nicolas Cantin
Musique originale : Dom La Nena
Décors : Julie Wassef
Costumes : Charlotte Terrasse
Maquillage : Anaëlle Trogno
Coiffure : Rodolfo Zubizarreta Dago
Montage image : Mathieu Pontier
Montage son : Olivier Voisin
Mixeur : Victor Praud
Directrices de casting : Elodie Demey et Aurélie Avram
Directrice de production : Cécile Rémy-Boutang
1er assistant réalisation : Luc Catania
Scripte : Soizic Poënces
Régisseur général : Raphaël Launay
Budget : 2,1 millions d'euros
   Distribution
Agnès Jaoui : Judith
William Lebghil : Pierre
Salif Cissé : Ibou
Rosita Dadoun Fernandez : Mémé
Alison Wheeler : Lisa
    Durée : 103 minutes
    Société de distribution : KMBO
    Ventes internationales : Be For Films
    Date de sortie :
France : 6 mars 2024
Suisse : 6 mars 2024
Belgique : 13 mars 2024
    Viewed at MK2 Odéon Côté St Michel, Salle 3, samedi le 16 mars 2024

Synopsis (Wikipédia) : " Pierre, 33 ans, fleuriste à succès, voit sa vie basculer lorsque sa mère, Judith, fantasque et excessive, débarque dans sa vie après deux ans sans se voir. Pierre n’a qu’une idée, reprendre le cours normal de sa vie, mais rien ne se passe comme prévu. Leurs retrouvailles, aussi inattendues qu’explosives, vont transformer Pierre et Judith à jamais. "

AA: Julien Carpentier's debut feature film has an autobiographical background. 

It is a rambunctious tale of Pierre, a florist, whose irrepressible mother Judith returns after two years away in a mental clinic. The rebel mother crashes glasses, smokes, consumes whisky, flaunts her décolleté, dances wildly and acts like a teenager. She is in a maniac period of a bipolar condition. The whirlwind encounter ends in a couscous dinner at the grandmother's place, with the son's girlfriend, and a huge bouquet of flowers brought by the florist's associate.

In meditative passages of the frenetic story Carpentier displays talent in purely visual poetry. The story of the florist is naturally full of flower symbolism. The language of flowers is one of the topics, including flowers as symbols of love, and tellingly, Judith understands that better than Pierre. 

The most impressive counterweights to the daily chaos are the visits to the Biscarrosse sand dunes on the beach. The compositions of the sea, the sky and the dunes are serene. As are scenes under the full moon.

Another deep connection emerges via music: the karaoke experience of the Julien Clerc / Françoise Hardy song "Fais-moi une place" (1990) and the song during the end credits composed by Dom La Nena, sung by Jaoui.

BEYOND THE JUMP BREAK: INTERVIEW WITH JULIEN CARPENTIER:
BEYOND THE JUMP BREAK: INTERVIEW WITH JULIEN CARPENTIER:

De quand date la première idée de La vie de ma mère ?

Cela fera dix ans quand le film sortira. J’ai d’abord eu l’idée d’un court-métrage, l’histoire d’un type qui reçoit un coup de téléphone de sa grand-mère lui disant que sa mère est là et qu’il doit quitter précipitamment son travail. Ce qui est à peu près le début du fi lm aujourd’hui… J’ai écrit un script d’une vingtaine de pages et je voulais absolument que ce soit Agnès Jaoui qui joue la mère. Je ne réfl échis pas trop et je vais la voir au théâtre, dans la foulée. À la fin, je parlemente pour aller dans les loges et j’arrive à lui donner le scénario avec une petite note d’intention. Quinze jours plus tard, je reçois un mot d’Agnès, me disant qu’elle a adoré le projet, l’écriture, mais qu’elle ne joue pas dans les courts métrages, faute de temps. Je lui demande si elle pourrait être intéressée par le projet si c’était un long métrage, chose à laquelle je n’avais pas du tout pensé jusque-là. Et elle me dit qu’elle adorerait…

Pourquoi « absolument » Agnès Jaoui ?

Au-delà de son talent, il y a une histoire qui vient de plus loin : depuis que j’ai dix ans, je dis que j’ai le désir d’être scénariste et réalisateur et la seule chose qui me connecte au cinéma, c’est le nom de jeune fi lle de ma mère, qui est Jaoui. Il y a peut-être un cousinage lointain puisqu’elles sont toutes les deux originaires du même quartier de Tunis… Du coup, même si je ne suis qu’un gamin à l’époque et que leurs fi lms s’adressent sans doute à un public plus adulte, je suis le travail d’Agnès et de Jean-Pierre Bacri.

J’avais envie de travailler avec elle un jour et, comme je suis d’une nature tenace, je me suis dit que ce n’était pas impossible !

Quel a été le point de départ de l’écriture ?

J’avais reçu d’un auteur ce conseil basique : « Écris sur ce que tu connais ». Ça a fait son chemin, et ça continue à faire son chemin d’ailleurs ! Le fi lm s’appuie donc sur une partie de mon histoire familiale : il y a dans mon entourage quelqu’un qui souff re de la même pathologie que le personnage de Judith. J’avais envie d’apporter un témoignage et de m’adresser aux accompagnants. Ceux qui souff rent dans l’ombre et qui, souvent, ont honte. Mon souhait était aussi de libérer une parole autour de la santé mentale, parce que nous sommes bien plus nombreux qu’on ne l’imagine à être touchés de près ou de loin par cela. Au départ, je remarque que j’aime les fi lms qui traitent d’une urgence, d’un moment critique, d’un point de bascule dans une vie. Par exemple, le court métrage de Xavier Legrand, Avant que de tout perdre - qui a ensuite donné naissance à Jusqu’à la garde et qui raconte ce moment où cette femme décide de quitter le foyer, d’échapper à son mari -, m’avait beaucoup impressionné.

Quel est le diagnostic précis de la maladie de Judith ?

Elle est bipolaire, ce qu’on appelait avant être maniaco-dépressif. Comme son nom l’indique, c’est une pathologie qui se compose d’une phase maniaque et une autre dépressive. Avec évidemment une phase stable. C’est un trouble qui a plusieurs degrés de gravité ; l’étape la plus importante, c’est sans doute de la diagnostiquer. Il y a des régulateurs de l’humeur qui permettent de vivre une vie normale, mais les événements de l’existence ont évidemment un impact également. Si la personne n’est pas bien suivie ou prend mal son traitement, l’état se dégrade. À travers le personnage de Judith, je raconte ce qu’est cette maladie : le manque de sommeil, l’alcool, l’hypersexualité, l’énergie débordante, les vêtements voyants, tout cela constitue des signaux pour l’entourage. Au contact d’une proche malade, l’entourage développe une forme d’hypervigilance. J’ai vécu ces moments où l’on est au contact d’un proche bipolaire et où l’on subit ses diff érents états. Jeune, on est impuissant face à la maladie et on vit des situations bien souvent dramatiques. Puis vient un âge où, comme Pierre, l’on vit ces situations poignantes lorsque l’on accompagne un proche, trop instable, à l’hôpital. On sait que c’est pour son bien, mais on est tiraillé par des émotions contradictoires.

L’écriture était thérapeutique ? 

Je dirais que c’est l’inverse. C’est parce que j’ai pu faire un travail sur moi-même que je me suis senti capable d’écrire et de réaliser ce fi lm avec la bonne distance. Il ne faut pas réaliser un fi lm pour régler des comptes ou sans prendre en compte la souff rance de l’autre. Lorsque l’on grandit avec la notion de psychiatrie, on vit bien souvent une forme de rejet. Puis, progressivement, on comprend que c’est important de réussir à parler et mettre des mots sur un vécu, pour évoluer. C’est l’un des messages du fi lm. Il n’y a pas de déterminisme. J’ai incorporé au scénario des souvenirs authentiques. Il y a dans le fi lm des mots, des moments et des chansons qui évoquent des souvenirs parfois diffi  ciles. Mais en les réécrivant et en voyant ces épisodes de ma vie réinterprétés, j’ai pu prendre de la distance. Jusqu’à ce que ces souvenirs deviennent petit à petit plus agréables. 

Ce qui est très poignant dans le personnage de Judith, c’est sa lucidité sur sa maladie… 

Quand ils se disputent dans le cimetière, j’ai fait dire à Judith une phrase qui est très importante pour moi : « Je ne fais pas exprès d’être comme ça. » Car c’est vrai. Ce n’est pas un caprice, une lubie, un plaisir. Les personnes qui souffrent de bipolarité sont dans une souffrance réelle. Mais, à l’inverse, pour les accompagnants / les proches, cette phrase résonne comme une sorte d’échec et mat… On se sent complètement démuni et cela peut provoquer colère et désarroi. 

Que connaissait Agnès Jaoui de cette maladie ? 

Cela reste un tabou, mais je crois qu’en réalité beaucoup de gens ont des proches ou des connaissances qui souffrent de cette maladie. Et je sais que c’est aussi son cas. Ce que j’aimerais au plus profond de moi, c’est que le fi lm libère une parole, qu’il permette d’assainir les relations entre souff rants et aidants. Agnès est une artiste complète, une artiste au sens noble du terme : elle écrit, elle réalise, elle joue, elle chante, etc. Je voulais profi ter de toute sa créativité.  

Plus Judith a exprimé sans retenue ses sentiments, plus Pierre, son fi ls, s’est barricadé en lui-même…  

Oui, la survie, c’est de se refermer. Essayer d’être le moins perméable. Pierre s’est réfugié dans son travail, il a bourré son emploi du temps pour ne pas avoir l’opportunité de penser à autre chose. 

Je fais pareil : quand je suis dans une urgence professionnelle, je tente de faire abstraction de certaines réalités diffi  ciles. Mais on réalise que ce n’est pas si simple. L’intégralité du regard que Pierre pose sur la vie, la nature de ses relations qu’elles soient amicales, professionnelles et sentimentales, ainsi que son attitude, toutes sont dictées par son vécu. Cette incapacité à lâcher, faire confi ance, et cette volonté de maîtriser, cela fait partie intégrante de sa vie. 

Pourquoi avoir fait de Pierre un fleuriste ? 

Je voulais un métier qui permette de voir que Pierre excelle dans la partie commerciale, terre-à-terre, de son activité, mais qu‘il en a oublié la dimension esthétique, poétique. C’est à l’image de sa vie, il s’est un peu coupé de la poésie. Sa mère, quant à elle, est plus sensible au sens des fleurs. À leur signification et à leur beauté, au sens large. Tout le parcours que Pierre va effectuer, c’est de ne plus voir les fleurs comme l’objet d’une simple transaction, mais aussi comme un langage, et ainsi s’ouvrir au monde de sa mère. C’était une façon de parler de transmission – qui est un message important du fi lm. 

Entre-temps, Pierre a tendu la main à sa mère pour l’aider à gravir la dune de sable… 

Oui, c’est une image très symbolique pour moi, qui raconte quasiment tout le fi lm : il monte, il voit qu’elle a besoin d’aide et il lui tend la main pour qu’ils continuent l’ascension ensemble. Les voilà au sommet, face à un coucher de soleil qui annonce la fi n d’un jour mais aussi le début d’un autre. Tout est encore possible… On a tourné cette scène sur la dune de Biscarrosse : j’avais écrit le fi lm pour qu‘il se déroule dans le Sud-Ouest parce que dans cette région, il suffi  t de quelques kilomètres pour quitter un univers très urbain, traverser des forêts, et se retrouver face à la mer. 

Autre moment-clé du film, en termes d’émotion, la scène du karaoké, autour de la chanson de Julien Clerc, Fais-moi une place… 

Cette chanson appartient à un répertoire de la variété française qui parle à toutes les générations. J’avais envie que mère et fi ls se servent du biais de la chanson pour se dire des choses qu’ils ne parviennent pas exprimer. C’est le moment où Pierre commence à baisser la garde. Le moment où il change son regard, et commence à se décaler de quelques degrés pour s’ouvrir à l’amour, au sens large du terme : l’amour pour sa mère, pour Lisa, mais aussi l’amour de son métier. 

Comment avez-vous travaillé l’opposition entre l’exubérance d’Agnès Jaoui et le calme apparent de William Lebghil ? 

William est quelqu’un de très profond, très intense, très sensible. Il possède à la fois un vrai timing de comédie et une grande intensité dramatique. Il a beaucoup travaillé avant le tournage pour faire de Pierre ce personnage taiseux, qui a passé sa vie à encaisser, et qui sait naviguer en pleine tempête. Il sait gérer. Il est sur ses appuis, prêt à aff ronter les événements. On a travaillé sur son assise physique : les cheveux plus courts, le regard un peu plus sombre, et ce blouson en cuir qui lui donne une certaine stature. Il est prêt à recevoir des bourrasques ! Et, petit à petit, au fi l de son parcours, son humour un peu destructeur passe du cynisme au partage. Judith est quelqu’un de très drôle. Même si Pierre la trouve souvent insupportable, elle lui a transmis un regard sur le monde qui ne manque pas de drôlerie. Petit à petit, ils réapprennent à rire ensemble, comme quand ils sont couchés dans l’herbe et observent les étoiles.  

Un des moments savoureux du fi lm, c’est quand Pierre demande de l’herbe aux jeunes qu’il croise dans un café… 

Entre jeunes, il y a beaucoup de solidarité, d’entraide dans les quartiers. Ce n’est pas exactement ce qu’on nous montre ou ce qu’on nous raconte le plus souvent, mais c’est pourtant la réalité. 

Pierre a besoin d’aide pour sa mère, et les jeunes savent ce que ça veut dire de fi ler un coup de main à une mère. Ce que je souhaitais exprimer par cette scène, c’est que quand tu te présentes face aux gens et que tu as une démarche honnête et sincère, rien ne peut t’arriver, tu es imparable. C’est la première fois que Pierre explique ce qui se passe face à des gens qu’il ne connaît pas, qui sont un peu craintifs. Il se met à poil et, d’un seul coup, tout s’ouvre. C’est un fi lm qui parle avant tout d’amour et d’espoir, à travers ces moments.

Parmi les seconds rôles, on remarque Salif Cissé avec qui vous avez déjà travaillé, par exemple dans la mini-série Couronnes… 

J’aime à dire que Salif est un peu ma muse, il m’inspire beaucoup par ce qu’il est et ce qu’il dégage. Il est à la fois hyper puissant et très doux, c’est quelqu’un qu’on a envie d’aimer immédiatement. Il avait l’un des rôles principaux dans À l’abordage de Guillaume Brac et on l’a vu récemment dans L´Amour et les forêts, de Valérie Donzelli. La relation entre Pierre et Ibrahim me tenait à cœur. Il fallait un mélange de relation hiérarchique induite par l’autorité naturelle de Pierre, mais aussi une intimité dans laquelle passent de l’aff ection, de la tendresse. Ni trop pro, ni trop potes : j’aime bien l’équilibre qu’on a trouvé. 

Et Alison Wheeler ? 

J’adore sa personnalité. Je la trouve très inspirante. On a beaucoup parlé de notre amour respectif pour les comédies romantiques, et de ces non-dits qu’on y trouve parfois, où il faut reconstituer le passé commun des personnages. Souvent à travers l’humour. On avait très envie que la relation entre Lisa et Pierre raconte quelque chose de très contemporain dans les rapports hommes femmes. 

Qu’apporte la musique, selon vous ? De la légèreté ? 

Elle est signée Dom La Nena, une violoncelliste d’origine brésilienne qui vit en France. J’ai écouté son dernier album avant qu’il ne sorte, je l’ai trouvé très profond et très cinématographique, avec des passages bouleversants. Il y a des scènes assez intenses et il fallait un peu rompre l’ambiance, faire un pas de côté, une petite valse, à l’image de cette relation où, parfois, il y a de la tendresse dans la colère, de l’humour dans la tristesse. Dom La Nena a compris cela à merveille et le film s’achève par une chanson qu’elle a composée et qu’interprète Agnès. Un autre bouquet final. 

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