Sunday, March 24, 2024

Une famille / A Family


Christine Angot : Une famille / A Family (FR 2024). Christine Angot with her daughter Léonore.

FR 2024
Réalisé  Christine Angot
Produit par Bertrand Faivre, Alice Girard
Dir. de la photographie  Caroline Champetier
Montage  Pauline Gaillard
Son  Emmanuel Croset, Caroline Reynaud, Charly Clovis
Directrice de post-production  Aude Cathelin
Assistante de production  Ines Adjami
Chargées de production  Lilah Girardot, Ambre Guillou
Société de production Le Bureau
En coproduction avec Rectangle Productions, France 2 Cinéma
Avec la participation de Canal+, Ciné+, France Télévisions, Le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
En association avec Cofiloisirs
Avec le soutien de La Fondation Kering, La Région Île-De-France
FICHE TECHNIQUE
Genre   Documentaire
Durée 81 Min
Support DCP 2K
Langue  Français
Format de projection 1.85:1
Son 5.1
Visa 157.406
DISTRIBUTION FRANCE: Nour Films
    Festival premiere: 18 Feb 2024 Berlin.
    French premiere: 20 March 2024.
    Viewed at MK2 Bastille côté Faubourg Saint Antoine, 5 rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75011 Paris, métro Bastille, 24 March 2024

SYNOPSIS
" L’écrivaine Christine Angot est invitée pour des raisons professionnelles à Strasbourg, où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme et ses enfants y vivent toujours. Angot prend une caméra, et frappe aux portes de la famille. "

BIOGRAPHIE
" Christine Angot a écrit une vingtaine de romans, dont Léonore, toujours (1994), L’Inceste (1999), Un amour impossible (prix Décembre 2015), Le Voyage dans l’Est (prix Médicis 2021), ainsi que des pièces de théâtre et des scenarios. En 2004 son roman Pourquoi le Brésil (2002) est adapté au cinéma avec Pourquoi (pas) le Brésil par Laetitia Masson. En 2018, Catherine Corsini adapte Un amour impossible au cinéma. Christine Angot a travaillé avec Claire Denis pour le scénario d’Un beau soleil intérieur, adapté notamment de ses livres Rendez-vous (2006) et Le marché des amants (2008), et pour celui de Avec Amour et acharnement, adapté de son roman Un tournant de la vie (2018). Nous la découvrons en tant que réalisatrice avec son tout premier film, Une famille. "

AA: Christine Angot is a major cultural figure in France, a member of the Goncourt Academy, officier des Arts et Lettres, active since 35 years as a writer of novels and stories, equally prominent in the theatre. She has been working with the cinema, too, including as co-screenwriter for Claire Denis in Un beau soleil intérieur.

Une famille is Angot's first film as a director. It is an autobiographical quest about incest, a theme she has discussed for 30 years in her books, including L'Inceste (1999). The whole family was aware, but there was a wall of silence and an attempt to ignore and forget.

Christine's father Pierre Angot abandoned his family before Christine's birth. When he returned, Christine was 13, and she became his target in sexual abuse for years, causing a severe trauma.

With her camerapeople, led by the venerable Caroline Champetier, Christine Angot starts in Strasbourg, the scene of the crime, by interviewing her stepmother, whom she has never met before. The stepmother has read Angot's books and says that she has not been sure whether they are fiction or non-fiction.

Christine's mother Rachel Schwartz tells about the wall that separates her from what happened, but it is clear that she knew. Claude, the father of Christine's daughter Léonore, wants to keep a distance, but breaks down in tears in sympathy for the pain he knew.

The movie, as the title declares, is a family story. The father Pierre, long since dead, is the one who is guilty of the sexual violence, but the damage concerns everyone, and the wall of silence made it possible and will keep making such acts possible. Which is why the wall must be broken, and even rude and irreverent means taken.

Interspersed with the interviews / conversations are samples from home videos with Claude and Léonore and photographs from family albums. 

The most devastating passage is an excerpt from the television talk show Tout le monde en parle, moderated by Thierry Ardisson, in which Angot is a guest to discuss L'Inceste. Mind-bogglingly, incest turns into a topic of fun, and everyone is laughing. Except Angot who gets up and calmly leaves the show.

The talk show dramatizes painfully the atmosphere of derision 25 years ago and helps understand how hard it was then to raise a topic like this.

The premiere of Christine Angot's movie takes place during the second wave of the Me Too revolution in France. Angot's work is about more than "a family". It is about the society and its patriarchal framework of sexual violence to women.

The movie has inspired a lot of comment. A fascinating dossier has been published in MK2:s magazine Troiscouleurs (n° 205, mars-avril 2024), with Christine Angot as the cover story: "Pour une fois, la porte s'ouvre". "En plein MeToo du cinéma francais, elle signe, avec Une famille, un film majeur qui nous invite à penser l'inceste comme une question politique".

...
I am not an expert in psychoanalysis, but I have had the privilege to work with psychoanalysts for 35 years in organizing film symposiums and editing books. Realizing the full gravity of sexual violence to minors, including incest, belongs to the genesis of psychoanalysis. Since the beginning, psychoanalysts took it extremely seriously. I am puzzled that in France, where psychoanalysis is revered, an atmosphere of frivolity and derision around incest and sexual violence to minors has been possible.

A personal comment about sexual harassment and incest. It is possible to be ignorant even if that happens next door. The wall of silence can be that absolute. Most victims never tell. We must be grateful for those who do.

BEYOND THE JUMP BREAK: FROM LE DOSSIER DE PRESSE:
BEYOND THE JUMP BREAK: FROM LE DOSSIER DE PRESSE:

BIBLIOGRAPHIE
• Vu du ciel, 1990
• Not to Be, 1991
• Léonore, toujours, 1994
• Interview, 1995
• Les Autres, 1997
• Sujet Angot, 1998
• L’Inceste, 1999
• Quitter la ville, 2000
• Normalement suivi de La Peur du lendemain,
2001
• Pourquoi le Brésil ? 2002
• Peau d’âne, 2003
• Les Désaxés, 2004
• Une partie du cœur, 2004
• Rendez-vous, 2006 (Prix de Flore)
• Le Marché des amants, 2008
• Les Petits, 2011
• Une semaine de vacances, 2012
• La Petite Foule, 2014
• Un amour impossible, 2015
 (Prix Décembre 2015)
• Un tournant de la vie, 2018
• Le Voyage dans l’Est, 2021

ENTRETIEN AVEC CHRISTINE ANGOT

Après une vie consacrée à la littérature, vous vous risquez au cinéma. Qu’est-ce qui vous y a amenée ?

L’envie, à un moment particulier, qu’il y ait une caméra avec moi. Une caméra, c’est
quelque chose qui accompagne, qui soutient, qui voit la même chose que soi. L’envie
qu’il y ait une caméra dans la main de quelqu’un, quelqu’un qui est là, qui voit et entend
la même chose que soi, qui fait la même expérience visuelle, sensorielle, sensible et même
hyper sensible.

Quelque chose a-t-il déclenché ce projet ?

Une circonstance, oui. Fin juin 2021, je suis dans les toutes dernières corrections de
mon livre, Le Voyage dans l’Est, et je reçois un appel de la personne qui s’occupe chez
mon éditeur des déplacements, elle a besoin de confirmer des invitations à Nancy,
Strasbourg, Mulhouse. Elle n’a pas encore lu le livre, n’en connaît ni la portée ni le
contenu, et elle m’organise un petit voyage dans l’Est... Je me dis : tiens, ce serait bien s’il
y avait une caméra avec moi. Quelques jours plus tard, j’en parle à Caroline Champetier
(directrice de la photo, ndlr).

Pourquoi un film ?

Je veux qu’on voie, je veux qu’on sache, qu’il y ait une connaissance, une intelligence
de ce qui survient. Je veux qu’il y ait la même vérité que dans un livre. Dans un livre, on
n’observe pas, la scène apparaît, c’est tout. Elle n’a pas à être expliquée, elle s’impose
par les mots. Là, ça doit être pareil, mais avec une preuve visuelle.

Avez-vous à ce moment-là une idée de la façon dont le film peut se déployer ?

Aucune. Je ne vois ni la composition ni la dramaturgie, ou très vaguement, et ce que je
vois à ce moment-là je ne le suivrai pas. Il y aura des images et des phrases, donc il y
aura forcément des connections, une sorte de minimum syndical de l’écrivain qui filme.
Mais qui m’a très vite ennuyée. Ce que je veux savoir, en réalité, c’est s’il y a quelque
chose de visible dans ce chemin vers l’Est. Si filmer une fenêtre, ou une rue, a un sens ?
Est-ce qu’on voit quelque chose ? Si on met un texte en superposition, qu’est-ce que ça
donne ? Le film a commencé à devenir ce qu’il est avec la scène de Claude et Léonore,
trente ans plus tôt, jouant avec un ballon sur une pelouse, et ma voix off sur les images.
Là il y a eu quelque chose. Ça ne pouvait pas non plus être tout le principe. Ç’aurait été
trop formel, trop systématique, ça se serait usé très vite.

C’est l’une des séquences vidéo qui jalonne le film. Avant d’évoquer ces
scènes, parlons de la grande séquence dans la maison de la femme de votre
père.

Je voulais me rendre à l’adresse à laquelle j’ai longtemps écrit à mon père, et où je suis
allée une fois, il y a trente-cinq ans. Je me pensais incapable de sonner. Par peur qu’on
ne me réponde pas, ou qu’on me refuse l’entrée. Comme on ne répond pas aux quelques
messages laissés par téléphone depuis quelques années. Et je sais que s’il n’y avait pas
eu une caméra avec moi, s’il n’y avait pas eu Caroline Champetier filmant les sonnettes,
mon doigt n’aurait pas appuyé dessus. Je n’étais pas seule, c’est essentiel. Je n’y serais
pas allée seule. Par peur. Par impossibilité.

Je suis quelqu’un qui réfléchit assez peu, en fait, et en fait, c’est mon doigt, à un moment,
qui appuie sur la sonnette, quand Caroline en approche la caméra. Comme ce n’est pas
préparé, devant la porte qui s’ouvre je suis dépassée, par ce qui arrive, parce que je ne
m’y attends pas, et que je suis en train de faire quelque chose que je n’ai pas imaginé.
Je suis dépassée, et en même temps je me dépasse. Comme une autre moi-même qui
prend le relais, monte l’escalier, met le pied dans la porte, s’impose. Je suis dans un état
de survie, d’incandescence, d’électricité. Dans ce domaine des viols sur enfant et des
incestes, de toute façon, c’est soit des films pornos, soit des films de guerre.

Qu’attendez-vous de cette femme ?

Rien de spécial. Je veux entendre ce qu’elle dit, je veux comprendre ce qu’elle a dans
la tête, face à ce que moi je lui dis je veux entendre ce qu’elle répond, savoir comment
elle voit les choses, comment elle les interprète, comment elle les vit. Ce qu’elle pense.
Je veux savoir l’histoire qu’elle se raconte, comment est son visage quand elle prononce
les phrases. Comment elle vit confrontée à quelqu’un qui lui dit : il s’est passé ça. Et qui
lui pose des questions.

Je veux connaître l’histoire que se racontent les gens quand on leur dit ce qui est, ce qui
a été, ce qui s’est passé… Au fond d’eux-mêmes, ils savent ce qu’il en est. Mais ils ont
construit un édifice qui barre le réel. Personne n’est obligé d’aller au fond des choses,
pour que le barrage tienne, ceux qui l’ont édifié se sont persuadé que la folle, c’est moi,
celle qui invente, qui fait du roman. Ils inversent.

Cette femme, vous la tutoyez, vous la connaissez

Je l’ai rencontrée pour la première fois à 28 ans, à Paris, en présence de mon père.
Quand ils ont enfin décidé de dire à leurs enfants que j’existais, j’avais 28 ans, et eux 20
et 22 ans. Ma demi-sœur est venue me voir à Nice, où j’habitais, et quelques semaines
plus tard je suis allée à Strasbourg, pour faire la connaissance de mon demi-frère.

Après ça, vous filmez les autres

Oui, nécessairement, ça s’enchaîne. Quand on sort de chez la femme de mon père, on
sait qu’on a filmé quelque chose qui habituellement ne peut être qu’une reconstitution, ou
un scénario comme dans Festen. Ça ne peut être que de la télé-réalité ou de la fiction,
normalement. Là, on a une scène vraie. On est dans le réel. Rien n’a été écrit à l’avance,
il n’y a ni reconstitution ni scénarisation. On est dans le présent pur. On n’est pas dans
l’imagination. C’est le 12 septembre 2021. On s’engouffre dans le taxi, et on est dans
un état d’épuisement indescriptible.

Ensuite, il se passe quoi ?

Je vais à Reims revoir ma copine d’école, dont j’ai retrouvé la trace. J’aurais aimé garder
ce passage, mais je l’ai coupé quand le film s’est centré sur « une famille ».

Je filme ma mère à Montpellier, elle sait que je vais lui poser des questions, ce n’est pas
simple pour elle, mais elle n’envisage pas une seconde de me dire non. L’entretien ne se
passe pas bien. De retour à Paris, on monte la scène, et c’est très difficile. La scène est
dure. Puis on va filmer Claude, le père de Léonore, à Montpellier aussi. Puis Léonore à
Nice. Charly à Paris. Puis, je me dis « il faut retourner chez ma mère. On ne peut pas
rester sur cette conversation si dure ». Entretemps, elle me donne un carnet dans lequel
elle a pris des notes pendant qu’elle lisait Le Voyage dans l’Est. Je le lis, je trouve ça
super. Quand on retourne à Montpellier pour la filmer, je sors le carnet de mon sac,
et lui demande de le lire devant la caméra. La séquence s’est tournée en deux temps.
D’abord, elle le lit dans un jardin, elle est dévastée, elle est en larmes. On recommence le
lendemain, chez elle. Là, elle n’est plus cueillie dans son émotion brute, elle est émue mais
s’appuie sur son texte. Beaucoup de gens qui traversent des choses difficiles écrivent. Ils
se rendent justice à eux-mêmes.

Est-ce que le film est la quête d’une réponse ?

Je n’attends aucune réponse. Je suis très habituée à ne rien attendre et je n’ai jamais rien
attendu. C’est pour ça qu’à la fin, quand Léonore dit ce qu’elle me dit, je suis émerveillée.
Les gens sont tout le temps en train de me demander ce qui s’est passé pour moi, mais
de ça je m’en occupe, ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce qui se passe pour eux. Eux 
les autres. Ça peut paraître étrange, mais elle est là la vraie question. Ça les concerne.
Ils font partie de l’histoire. Alors, quelle est l’histoire qu’ils se racontent dans le miroir ?

Comment les choses se passent avec Claude, le père de Léonore ?

Je lui demande s’il est d’accord pour qu’on vienne le filmer. Il accepte. On fixe une date,
puis il se rétracte, il dit : « ce n’est pas mon langage ».
Moi, mon truc, c’est de faire avec ce que j’ai. Si j’ai, tant mieux. Sinon, tant pis. Je me dis
« il ne veut pas, je m’en fiche ».
Puis, me revient une chose, que je savais, mais à laquelle je n’avais plus pensé depuis très
longtemps. Le fait que lui-même a été violé à 11 ans. Je le rappelle. Je lui explique, il est
surpris, décontenancé, mais il est partant.

Or cette histoire de viol le renvoie à son enfance blessée. Vous lui dites que
vous étiez deux enfants, que vous vous êtes trompés sur votre histoire. Vous
le preniez pour votre sauveur ?

Quand on vivait ensemble, j’étais celle qui ne savait rien faire, qui ne conduisait pas, qui
ne faisait pas tout un tas de choses qu’on fait dans la vie courante, qui ne gagnait pas
sa vie, celle qui avait eu un problème grave, qui était fragile.
Lui, c’était l’homme rassurant, sur qui on pouvait se reposer. Alors qu’en fait, non. En
réalité, on était deux enfants. Pas ce couple solide, qu’on aurait pu être.
Les gens qui vous rassurent, vous comprennent, avec qui vous pouvez parler, ne sont pas
forcément les mêmes que ceux qui agissent.

L’utilisation des archives, notamment les images domestiques, intimes,
donnent une dimension très puissante au récit. Comment ces images se sontelles greffées au film ?

Ces films, que Claude et moi avions tournés trente ans plus tôt, je les avais oubliés.
Un an avant le tournage, Claude les a numérisés, pour les montrer à Léonore, et je les
ai revus. Tout à coup, de la revoir petite, et de revoir ce passé, m’a plongée dans une
émotion incontrôlable. Voir quelque chose qu’on pensait ne plus jamais voir. Voir le temps
réapparaître, revenir. C’est la source des émotions.

Vous ne les aviez jamais revus ?

Jamais. Je n’archive pas, je garde peu. J’ai pensé que j’allais apporter ces images au
montage. J’étais gênée, j’en avais un peu honte, de ces images tournées n’importe
comment, et si intimes.

Et finalement, elles sont là, elles donnent au film sa mélancolie… Cela devient
un film sur le temps...

Oui, les avoir oubliées, et les avoir revues, a donné une forme précise à mon souvenir.
Un son, des couleurs, le grain d’une peau. Ce n’était plus un souvenir, mais une image
physique. Et on prenait conscience, en faisant réapparaître des choses disparues, de la
douleur qu’elles ne soient plus. Quand je vais au montage, j’apporte ces petits films à tout
hasard, en me disant que ça n’a rien à voir avec Strasbourg, je les prends quand même.
Et à un moment, pas tout de suite, ça a pris du temps, c’est une de ces images qui me
permet de montrer l’in-montrable, et de faire entendre l’inaudible, en enregistrant dessus
une phrase de mon livre. Il n’y avait plus besoin d’explication. Ces images, auxquelles je
ne m’attendais pas, sont venues s’installer au milieu de l’histoire. Elles sont hors histoire,
mais elles me permettent de nouveau, comme à chaque fois que je fais un livre, de ne
pas être enfermée dans quelque chose de moche, pour dire ce qui est. C’est un peu ce
que dit Léonore à la fin, d’ailleurs : « Je n’avais pas compris que ça aurait aussi bien pu
ne pas t’arriver », et à propos de l’inceste, « c’est pas la vie ! »

Qu’est-ce que le cinéma dévoile de plus ou de moins que la littérature ?

Les images, justement. En littérature, les images existent, mais elles sont intérieures,
personnelles, mentales, créés par chaque lecteur à partir de la phrase. Alors qu’au
cinéma, ce sont des images qu’on peut décrire, dont on peut parler, et qui relèvent de la
preuve. On ne peut pas me dire que je fais dire ça ou ça à la femme de mon père. C’est
elle qui parle, on le voit.

Parmi les images d’archives, il y a aussi celles avec Thierry Ardisson… Tout à
coup, l’époque resurgit, dans toute son indécence...

La monteuse, Pauline Gaillard, qui ne regarde pas la télévision, et ne jure que par le
cinéma, n’avait jamais vu ces images. Je lui ai montré l’émission d’Ardisson, qu’elle a
trouvée affreuse, moi, je me disais qu’il fallait essayer de monter une scène avec ça. Elle
trouvait que c’était trop violent.
La scène est violente, oui, d’autant plus que vous restez stoïque avant de
quitter le plateau, vous essayez même de sourire…
Quand je quitte le plateau, je suis effondrée, je me dis même qu’il faut que j’arrête
d’écrire. Mais jusqu’à ma sortie du plateau, je cache mon émotion pour ne pas en faire
un spectacle.

Est-ce que vous avez l’impression de vous être créé une carapace, un
personnage public ?

Une carapace, non. Une sorte d’absence à soi-même, oui, qui se crée en entrant sur un
plateau, en même temps qu’une forte adhésion aux choses qu’on croit, qu’on défend.
Dans la scène du film où je pleure, c’est pareil, il fallait que je sois à la fois présente, et
à distance de moi-même. Je est une autre. Les choses se modelaient au fur et à mesure,
et je m’adaptais. J’ai fait avec. Je n’ai même pas créé de situation.

L’époque est à la dénonciation de l’inceste mais vous en parlez depuis 30 ans.
Avez-vous le sentiment d’avoir été une pionnière ?

Je suis surtout une pionnière de la mise en examen actuellement. Évidemment que j’ai mis
le pied dans la porte, et alors ? On nous sermonne avec le fait qu’il faut parler, mais pour
y arriver, on fait comment ? On ne manque pas de défenseur de la veuve, de l’orphelin et
de la victime d’inceste. Mais quand la porte se referme, si on met le pied dans l’ouverture
restante, pour ne pas repartir sur quarante ans de silence, on vous met en examen.
C’est une plaisanterie ! Est-ce qu’ils veulent que les gens parlent sans prendre en compte
la difficulté de le faire, et la résistance de l’interlocuteur, qui préfère largement le silence
ou le mensonge ? Je devais parler avec cette femme, parce que je pensais que c’était
important pour tout le monde, pour moi, pour elle, pour les enfants, pour l’avenir, pour
vous. Je ne pouvais pas être là comme on prend rendez-vous pour le thé, et je ne pouvais
pas être seule. On me dit qu’il y a des associations pour parler, et bien moi, c’est ça mon
association, c’est d’être avec Caroline Champetier qui m’accompagne avec une caméra,
qui regarde avec moi.

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